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Harcèlement sexuel : il faut agir dans l’entreprise

samedi 16 décembre 2017

Si l’on peut se féliciter de la libération de la parole à propos du harcèlement sexuel, nous devons nous rappeler que, dans bon nombre d’affaires de ce type, des accusations sont portées mais n’aboutissent jamais, ni dans l’entreprise, ni dans les différentes instances judiciaires, pénale ou prud’homale. Pire, elles peuvent conduire à des chantages à l’emploi, des remises en cause des victimes ou des lanceurs d’alerte, elles peuvent aussi avoir des conséquences en termes de santé, d’estime de soi, sur l’entourage et sur la confiance dans le monde du travail.

Dans les entreprises et administrations, 20 % des femmes disent avoir été confrontées à un problème de harcèlement mais seul un pourcentage très minime des déclarations aboutit à des sanctions disciplinaires ou pénales contre le harceleur.

Il nous faut dépasser la vague d’indignation actuelle pour construire méthodiquement des réponses législatives, règlementaires ou négociées à tous les obstacles qui se dressent devant les victimes en gardant présent à l’esprit que l’employeur a un devoir de protection vis-à-vis de ses salariés et qu’au regard des chiffres et des témoignages diffusés actuellement, les employeurs ont failli collectivement.

Quels sont ces obstacles et à quoi sont confrontées les victimes ?

De manière générale, on constate une absence de réaction de la hiérarchie souvent aggravée par la critique de l’acte de dénonciation. Les directions ont parfois la volonté d’étouffer l’affaire et de la régler en toute discrétion. Elles omettent de diffuser des informations fiables sur les procédures de protection judiciaire et se déchargent ainsi de leur responsabilité propre en invoquant une procédure pénale en cours pour ne pas intervenir. Autre problème, la non-réaction des instances des entreprises ou des administrations : IRP, CHS-CT ...et la faiblesse de mobilisation des organisations syndicales dans l’entreprise comme au niveau des négociations de branche. Il peut arriver aussi que la victime ne soit pas protégée et que cela se double par une absence de protection du lanceur d’alerte ou du délégué syndical qui prend en charge le dossier.

Enfin, cette forme d’évitement permanent des entreprises pour traiter ces problèmes entraine une absence de documents officiels, de preuves, d’écrits, de témoignages réclamés par la justice en cas de plainte. Cet aspect a des conséquences dramatiques pour la suite. Les propositions suivantes ont la vocation d’installer des procédures opposables à la justice en cas de besoin et qui doivent aussi conduire à des prises de décision dans l’entreprise.

Les réponses à construire dans l’entreprise

  • Les équipes syndicales et les employeurs construisent un plan d’action de l’entreprise avec des mesures effectives de prévention et d’accompagnement et de soutien des victimes.
  • En cas de harcèlement, il convient d’introduire une obligation légale de recenser les plaintes de manière neutre (sans commentaires, ni pression quelconque) à partir d’un document élaboré par le ministère du Travail. Il s’agit d’une procédure de signalement. Dans chaque entreprise ou administration, les services de ressources humaines sont compétents pour agir. Un autre responsable que le DRH (directeur, directeur adjoint, chef de service identifié…) est informé de la procédure de manière à protéger la plaignante ou le plaignant si le harceleur appartient au cercle des responsables (PDG, directeur…).
  • Dans les entreprises sans DRH, les partenaires sociaux de la branche ou du territoire négocient pour qu’une instance extérieure à l’entreprise joue ce rôle de recollement et de traitement des plaintes.
  • Dans tous les cas, les victimes reçoivent un document officiel confirmant que leur plainte a été enregistrée.
  • Les documents de signalement sont communiqués à l’inspection du travail et aux agences de RSE si l’entreprise fait appel à elles. Les entreprises ou l’instance extérieure doivent indiquer combien de plaintes ont été déposées et combien ont été réglées par différentes procédures y compris disciplinaires. Cette démarche pourrait se rapprocher des déclarations pour accidents du travail.
  • Cette question est traitée obligatoirement par le CSE et, quand elle existe, sa commission santé-sécurité et conditions de travail ou le CHS-CT dans l’administration, pour prévenir les phénomènes de harcèlement et veiller à la bonne application de protection des victimes et de sanctions des harceleurs. En cas de besoin ces instances peuvent avoir recours à de cabinets d’audit extérieur.
  • Ces documents officiels ainsi que les délibérations du CSE et de sa commission santé-sécurité ou du CHS-CT servent à nourrir les dossiers pénaux, si nécessaire, sur la question de la preuve et de l’absence de consentement exigées par la justice.
  • Les services de santé au travail doivent s’organiser pour apporter aux victimes la garantie d’une assistance juridique gratuite y compris à distance.
  • Il convient d’examiner si les actions de groupe seraient autorisées en cas de pratiques de harcèlement fréquentes et continues de la part d’une même personne vis-à-vis d’un groupe de personnes.
  • Les partenaires sociaux se saisissent de la question des chartes de bonne conduite signées dans les entreprises et qui parfois servent de paravent pour régler des affaires de harcèlement sexuel par des compensations financières. Est-il normal que certaines de ces chartes comportent la signature d’un document indiquant que l’on n’a pas été victime de harcèlement ? Parfois les codes de confidentialité ne sont que des codes du silence et les chartes et les chèques encouragent les prédateurs.
  • Il convient que les responsables des entreprises ou des services aient une attention redoublée dans les lieux de pouvoir propices au harcèlement : monde politique, de l’art, médical, emplois à domicile…
  • Enfin, au regard de la réalité vécue dans les entreprises et les administrations, il s’agit d’examiner si la protection des lanceurs d’alerte, qu’ils soient syndicalistes ou autres, est suffisante. L’Inspection générale des services du ministère du Travail pourrait mener ce travail.

Au-delà de ces préconisations, les entreprises devraient mieux assumer leur mission éthique en cassant l’alibi des pulsions masculines, la complaisance et la complicité masculines à l’égard du harcèlement et en veillant à un environnement de travail non dégradant. De même, féminiser au plus vite tous les lieux de pouvoir est essentiel. Plus de parité égale moins de harcèlement.