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L’émergence d’un ordre social négocié

mercredi 16 avril 2014

L’accord national récent sur la formation professionnelle s’ajoute à une liste d’accords dont l’addition mérite d’être relevée.

Modernisation du marché du travail en 2008, gouvernance des groupes paritaires en 2009 - qui établit des critères de transparence et de financement -, prévention du harcèlement et des violences au travail en 2010, naissance du contrat de sécurisation professionnelle en 2011, du contrat de génération et de la prise en charge de l’activité partielle réduite en 2012 – permettant aux salariés menacés de licenciement de se former qualité de la vie au travail, conditions et organisation du travail, promotion de l’égalité professionnelle, et accord sur la sécurisation de l’emploi en 2013 qui modifie les règles des plans sociaux et réorganise le rôle des représentants du personnel dans le suivi de la stratégie de l’entreprise, la liste est impressionnante et marque un vraie activité contractuelle interprofessionnelle. Il faut y ajouter la position commune sur la représentativité et la validation des accords collectifs qui fonde la représentativité des syndicats sur les résultats aux élections professionnelles d’entreprise, avec à la clé, l’institution de nouvelles règles de validation des accords collectifs. Et il faudrait encore relever …On pourrait y ajouter des accords sur des sujets plus précis comme l’entretien de l’assurance chômage, l’emploi des jeunes et les retraites complémentaires.

Jamais en une période aussi courte, les partenaires sociaux n’auront conclu autant d’accords au niveau national interprofessionnel. Certains de ces accords ont été négociés sous la pression ou à la l’impulsion des pouvoirs publics ont respecté à la lettre ces accords et leur ont donné ensuite force de loi. Mais d’autres sont le reflet de l’autonomie des acteurs.

C’est aussi le contenu des accords qui est historique. Gestion de l’emploi, qualité du travail, - sujets jusqu’alors réservés aux employeurs -, nouveaux contrats pour préserver l’emploi ou embaucher, confrontation sur la stratégie de l’entreprise s’appuyant sur des indicateurs précis, unification des institutions de représentation des salariés, nouvelles règles de représentativité et d’habilitation des accords remplaçant celles qui existaient depuis la Libération. Les sujets traités font système. Ainsi, emploi, qualité de vie au travail, formation sont en fait articulés.

Potentiellement, ce sont de nouvelles pratiques offertes à la régulation sociale française. Cela peut déboucher sur un bouleversement comparable aux droits nouveaux de 1982. On serait en présence d’une sorte de nouvel ordre social négocié. Il n’est pas certain que l’opinion et les différents acteurs de la scène sociale aient conscience de la portée potentielle de ces accords.

La démarche des négociateurs a été, et sans doute demeure, le remplacement de règles anciennes devenues inefficaces par de nouvelles plus adaptées à l’évolution des contextes et des réalités de travail, aux transformations de modèles économiques qui affectent les salariés.

Ce qui la caractérise c’est la recherche de solutions équilibrées qui donnent à l’entreprise les moyens de la réactivité et de l’adaptation et aux salariés les garanties d’évolutions, de protection. Ces accords constituent un ensemble articulé, ils ont une logique commune, une cohérence d’ensemble.

Les accords conclus, souvent débattus, critiqués par une part du monde syndical et politique, ont chaque fois trouvé une majorité politique pour y donner une suite législative. Les lois ont pris en compte les accords sans les modifier profondément parce que le législateur a mesuré en quoi le point d’équilibre auxquels les négociateurs étaient parvenus constituaient de fait la condition de l’efficacité de la réforme Et ces majorités parlementaires ont été tantôt de droite, tantôt de gauche. (Enfin, les accords ont bénéficié du soutien de l’administration du travail.)

Des esprits chagrins voient dans cette démarche un moyen pour le gouvernement de se délester de ses responsabilités sur les partenaires sociaux, critiquent une méthode qui ne prend pas en compte le caractère d’urgence des décisions à prendre, expriment un doute sur la mise en œuvre de ces accords au motif que tous les syndicats ne sont pas signataires

Ils ont tort. C’est ignorer les limites de lois construites loin des réalités et des acteurs sans lesquels l’exercice législatif perd aussi de sa substance et donc de son efficacité. C’est méconnaître les nouvelles règles d’opposition à des accords signés, et l’autonomie dont font preuve des négociateurs de branche et d’entreprises quand les négociations s’ouvrent à leur niveau quand bien même leur confédération ne s’est pas engagée au sommet.

Le succès des ruptures conventionnelles, les premières évaluations de la loi sur sécurisation de l’emploi montrent déjà une proportion de PSE négociés très élevée et relativisent le scepticisme ambiant

Il reste à prendre acte dans un pays que l’on dit non réformable, de cette continuité réformatrice et de l’existence dans les faits d’un arc réformateur majoritaire.il reste à en mesurer le potentiel que cela induit pour la conduite des réformes en appui sur deux majorités, une sociale, une politique, prêtes à construire du changement négocié. Le plus difficile attend les négociateurs : mettre en œuvre les nombreuses dispositions dont ils ont convenu et que la loi a ratifié ; c’est à l’épreuve du terrain et donc à la qualité des acteurs sur place que l’on verra si ces accords sont capables de transformer réellement la situation des salariés et d’améliorer la compétitivité des entreprises. La qualification des responsables syndicaux d’entreprise est donc essentielle. La détermination des employeurs aussi. Tant de patrons ont déploré la difficulté de mettre en œuvre des démarches réformistes qu’il serait surprenant qu’ils boudent ces accords.


 

 

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