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L’intégration en France, enfin une étude scientifique !

samedi 12 mars 2016

Dans ce contexte politique tendu sur les questions d’immigration, de migrants et d’intégration, objet d’idées reçues et de représentations stéréotypées, il faut saluer l’étude des 22 chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (INED) et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ils ont examiné les trajectoires de 8 300 immigrés issus de sept vagues d’entrées successives de la seconde moitié du XXe siècle. Ils les ont comparées à celles de 8 200 de leurs descendants et à des Français sans ascendance étrangère.

Leurs conclusions sont sans appel, notre société sait intégrer. Mais l’enquête confirme toutefois un phénomène de ghettoïsation des fils d’immigrés venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie et un problème de discrimination sociale.

Une enquête innovante à plusieurs titres

« Trajectoires et origines » est la première enquête d’envergure autorisée en France à recueillir le pays de naissance et la nationalité des personnes. Pour réaliser ce travail, l’Insee a dû recopier des milliers d’actes de naissance, après autorisation des juges d’instance, afin de constituer le panel. Une méthode innovante dans un pays opposé aux statistiques ethniques.

Près d’un tiers de la population est issu d’une migration

10 % sont immigrés, 10 % sont des descendants d’immigrés et représentent la deuxième génération et 9 % sont natifs d’un DOM ou rapatriés. Il s’agit d’une proportion importante.

Une intégration « asymétrique ».

Les enfants d’immigrés obtiennent des diplômes, trouvent des conjoints et des amis sans ascendance migratoire, ont souvent mis entre parenthèses la langue de leurs parents… Pourtant, ils restent plus longtemps victimes du chômage que la population majoritaire et se sentent discriminés. « L’intégration socio-économique est difficile pour eux, alors que leur intégration sociale est en marche », résume Cris Beauchemin, le deuxième coordonnateur du projet.

Ecole : les filles réussissent bien voire mieux que la moyenne, les garçons moins bien

Si l’on considère la deuxième génération, les 18-35 ans qui ont suivi toute leur scolarité en France, on constate que les filles sont tout autant bachelières que les jeunes femmes de la population générale, et parfois même plus nombreuses selon leur pays d’origine (Chine, Cambodge, Laos, Guinée). Toutefois, la part des bachelières est bien plus faible parmi celles dont les parents sont venus de Turquie (38 %) ou d’Algérie (51 %).

De manière générale, les résultats sont nettement moins bons pour les garçons. Si 59 % des garçons de la population majoritaire sont bacheliers, seuls 48 % des enfants d’immigrés réussissent ce diplôme – 26 % seulement pour les parents originaires de Turquie, 40 % pour l’Afrique sahélienne ou 41 % pour l’Algérie.

Une intégration sociale marquée par les mariages mixtes

D’autres preuves du parcours d’intégration peuvent se lire, comme dans les mariages mixtes qui concernent 67 % des fils de migrants et 62 % des filles, ou encore dans la descendance des deuxièmes générations, équivalente à celle des femmes de la population majoritaire à 40 ans.

Des résultats plus préoccupants

  • Emploi : l’ascension sociale ne protège plus des discriminations
    Mais des indicateurs plus inquiétants viennent pondérer ces résultats. En effet, l’intégration économique de la deuxième génération ne suit pas leur insertion sociale ; l’« asymétrie » se situe là.

D’abord, un diplôme n’a pas le même rendement pour un enfant de migrant et pour un Français de lignée et puis les enfants d’immigrés sont partout confrontés à des discriminations. Ce qui est vrai dans la recherche d’un emploi l’est aussi pour le logement ou l’accès aux loisirs . Pour les sociologues chargés de l’enquête, « eux font le travail d’intégration », mais ils regrettent que « quand la dynamique doit venir de la société française, là, les blocages apparaissent ».

La seconde génération souffre plus que la première des discriminations et cette expérience est d’autant plus systématique qu’ils font partie des minorités visibles. Maghrébins, Turcs et Subsahariens en sont le plus souvent victimes. Et rien ne les protège : ni le mariage mixte ni l’ascension professionnelle.

  • Zones urbaines sensibles : les hommes relégués dans des quartiers fuis par d’autres

Si, pour l’ensemble des sept vagues migratoires considérées en bloc, l’intégration économique n’est pas à la hauteur d’une intégration sociale qui, elle, fonctionne, l’étude de l’INED pointe un groupe, très masculin qui, lui, n’a même pas réussi son insertion sociale. Les fils de Maghrébins, les jeunes ayant des parents venus d’Afrique subsaharienne ou de Turquie cumulent les indicateurs d’exclusion à cause de leur échec scolaire massif. À leur niveau d’éducation trop faible pour entrer sur un marché du travail s’ajoute leur relégation dans des quartiers fuis par les autres.

Quand plus d’un habitant de ZUS sur deux est migrant ou fils de migrant, ils se retrouvent vite ghettoïsés. « Nous souhaitons attirer l’attention sur ce groupe », indique M. Beauchemin, pour qui leur présence aux marges de la société, désormais scientifiquement établie, est « un fait social majeur ». Pour eux et pour les autres, les chercheurs plaident à l’unisson pour la mise en place de politiques de lutte contre le racisme et les discriminations, afin de ne pas « stopper ce processus d’intégration, en marche, par ces assignations aux origines de leurs parents ».


Sources