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Management et culture

samedi 11 juillet 2009

La culture dans les politiques de ressources humaines des entreprises

Il peut paraître curieux, en pleine crise économique et d’emploi, d’ausculter et d’analyser les rapports que les entreprises entretiennent avec la culture : elles ont d’autres priorités et les salariés d’autres soucis !

Pourtant, les Français sont, en Europe, avec les Allemands, ceux qui consacrent le plus de temps aux activités culturelles : 70 % lisent au moins un livre par an, 20 % pratiquent un instrument, jeunes et retraités vont au cinéma…

Aussi, des entreprises de plus en plus nombreuses comprennent que la formation est un investissement essentiel pendant cette période de sous-utilisation de leurs capacités de production : il s’agit d’éviter les licenciements et le chômage partiel, de permettre des mobilités professionnelles et d’accroître les compétences de leurs salariés pour préparer la reprise.

La formation envisagée est d’abord centrée sur les gestes et les compétences professionnels. Mais certaines entreprises, pour aller au-delà de simples actions conjoncturelles, commencent à organiser le développement des savoirs fondamentaux de leurs salariés. Les savoirs fondamentaux sont la base de la capacité d’adaptation, d’évolution, d’autonomie, …de culture.

D’un autre côté, de nombreuses entreprises utilisent des séances théâtrales, avec saynètes, mimes… comme outil de management pour faire passer certains messages, présenter les enjeux de façon détendue, permettre de faire avancer les choses par une autre forme d’expression.

Regarder les rapports que les entreprises entretiennent avec la culture n’est pas donc une question vaine, même en période de crise. C’est un indicateur de la politique managériale d’une entreprise, de ses rapports avec son environnement, de sa conception de la gestion des ressources humaines et de sa politique sociale.

Qu’entend-on par culture ?

Il ne s’agit pas de la culture d’entreprise, qui relève des références collectives, d’un code commun et d’un attachement à l’entreprise. On traite ici de la culture au sens premier, qui va des savoirs fondamentaux aux connaissances artistiques, littéraires, mais aussi à la compréhension du monde contemporain, de ses réalités économiques, sociétales, géopolitiques et la pratique de langues étrangères au-delà de leur usage professionnel.

Employabilité immédiate ou adaptabilité et créativité ?

La plupart des entreprises recherchent d’abord une employabilité immédiate, comme l’analyse l’enquête TNS SOFRES de décembre 2008 pour l’Association des régions de France (ARF) : elles veulent des salariés possédant une formation professionnelle spécialisée (à 85 %) mais mettent très peu en avant les formations de culture générale (12 %). Et les réponses des salariés sont quasi identiques, avec juste un peu plus de place à la formation générale (81 % et 18 %). Aussi des deux côtés on valorise l’apprentissage, la formation en alternance et la formation continue, qui apportent des enseignements et une expérience professionnels et bénéficient éventuellement des réseaux des anciens élèves. Les réponses à l’enquête valorisent beaucoup moins le lycée et l’université. Et cette tendance s’est beaucoup accrue en 20 ans.

Au vu du besoin de professionnalisme, la formation générale et la culture ne seraient donc plus utiles ? Et faut-il continuer à opposer les deux. La plupart des emplois d’aujourd’hui demandent à la fois des compétences professionnalisées et des compétences plus transversales.

Qu’est-ce que des critères culturels pourraient apporter dans la vie d’une entreprise ?

Un groupe de 6 grandes entreprises (Axa, Lafarge, SCOR, BNP Paribas, Renault, C&S) s’est prêté au jeu de ces interrogations en 2006, faites par trois grandes écoles (Audencia, ESSEC et INSEEC) et l’Institut de l’entreprise.

Comme ces entreprises sont très internationalisées, la capacité d’adaptation y prime. Et, dans l’esprit de ces dirigeants, la culture générale est un vecteur d’adaptabilité, de curiosité intellectuelle, d’ouverture d’esprit, notamment à d’autres cultures. Pour eux, par la faible maîtrise de leurs propres références culturelles, les jeunes générations perdent ou au moins diminuent leur capacité à comprendre d’autres cultures.

Cohérence interne et ouverture à l’extérieur vont de pair.

Un autre responsable de ressources humaines interviewé y voit aussi la capacité à faire face à l’inconnu, …ce qui ne manque pas de se produire dans le travail aujourd’hui.

D’autre part, pour eux, la culture générale favorise l’autonomie dans l’accès et le traitement de l’information, et la sûreté de jugement. Ils ajoutent un autre élément : la culture facilite la capacité de regarder autrement et ailleurs, et ainsi de comprendre mieux les phénomènes complexes.
Recrutement, évaluation et critères culturels

Les critères culturels entrent rarement dans le questionnement explicite des candidatures par les entreprises et les recruteurs. Ils s’intéressent d’abord aux compétences, à l’expérience, à l’adéquation au poste et à l’opérationnalité directe des candidats.

Mais les candidatures en réponse à une offre sont très nombreuses, beaucoup de candidats souvent diplômés et/ou expérimentés offrent une correspondance importante avec le poste ouvert. C’est là que la culture intervient de plus en plus souvent, en deuxième niveau, celui du « plus » qui départagera les candidats et entraînera le choix de l’un plutôt qu’un autre. Se mettre dans cette perspective revient à rechercher des profils diversifiés dont les apports seront une richesse complémentaire pour l’entreprise ou l’administration.

Les six entreprises citées ne constituent pas un échantillon représentatif ; leurs réponses apportent cependant la vision de politiques existantes aujourd’hui. Elles recrutent surtout à la sortie des grandes écoles. Et leurs dirigeants disent chercher moins des compétences techniques que des aptitudes, des capacités. Ils souhaitent ainsi que les écoles donnent plus de place à la formation générale, au contraire d’une formation trop ciblée vers l’objectif professionnel. Ils préconisent alors une coopération avec les universités pour des enseignements généraux d’histoire, de philosophie, d’anthropologie… Dans le même ordre d’idées, les échanges et stages à l’étranger, dont Erasmus (mais qui n’a touché que 11 000 étudiants français par an depuis 20 ans), sont salués par de nombreuses entreprises comme une approche de la diversité culturelle, développant une capacité à rebondir, dans des contextes divers d’entreprises.

Des travaux pratiques innovants

Quelques entreprises sont passées aux travaux pratiques, depuis 2 à 3 ans. C’est le cas notamment de l’opération Phénix, où l’on trouve une dizaine d’entreprises et presque autant d’universités (parisiennes seulement). Il s’agit de recruter des étudiants de master 2 recherche en spécialités littéraires ou sciences humaines, de les former à la vie d’entreprise par 6 mois d’alternance. Ils sont ensuite confirmés dans l’emploi.

C’est aussi l’opération Elsa, menée par le CNAM et Sciences Po, pour des étudiants à bac + 3 ou 4 en lettres ou sciences humaines, Ils s’engagent dans un contrat de professionnalisation pour 12 mois avec une entreprise et reçoivent une formation adaptée à l’emploi où ils ont été recrutés. Là aussi il y a pérennisation de l’emploi en bout de course.

Ces expériences, encore modestes, indiquent une préoccupation encore marginale

En effet, les patrons craignent de se retrouver face à aux salariés ayant de l’esprit critique et se sentent en difficulté à manager des personnalités fortes, créatives, exigeantes, moins « dans le moule » dominant. Pourtant, on parle de « l’économie de la connaissance », comme d’un objectif européen à mettre en oeuvre !

Éviter d’en faire un nouveau facteur d’inégalité

Et comment faire pour que la culture générale ne soit pas un nouveau critère d’inégalité sociale, dépendant du milieu familial et social, des moyens disponibles pour financer ses études (quand on travaille en même temps, il reste peu de temps pour se cultiver !), de l’inégalité entre ceux qui ont pu s’engager dans Erasmus – malgré son coût – et les autres ?... C’est un point essentiel, pour qu’un critère utile ne tourne pas au détriment des moins favorisés.

Formation continue et culture

La formation continue peut jouer un rôle non négligeable.
La priorité à l’employabilité, à l’acquisition de compétences directement opérationnelles, les exigences de productivité et de performances ont réduit les formations générales, culturelles et personnelles à une peau de chagrin. Le CIF (congé individuel de formation) qui, à ses débuts (années 80), conservait une petite partie de son financement à ce type de formations, y a renoncé, et les salariés ne le demandent plus non plus : le chômage est passé par là. De même, les plans de formation sont muets dans la grande majorité des cas et ciblent exclusivement les formations directement opérationnelles.

Des initiatives existent cependant

D’une part, la philosophie du DIF (droit individuel à la formation) est celle du choix individuel ; elle n’est pas seulement à visée professionnelle et peut permettre d’apprendre pour soi-même. On voit par exemple émerger une offre de DIF culturels tels sur le cinéma, la vidéo, la photographie numérique, photoshop. Dans le bilan des DIF, on trouve des demandes à but culturel (8,7 % du total), notamment en mathématique et science, sciences humaines-droit et lettres-art ; leur durée est longue, 105 heures en moyenne, ce qui suppose un cumul de plusieurs années d’heures de DIF. Cet aspect n’est pas négligeable : près de 15 000 DIF en 2006 sur 166 000 .

D’autre part, d’assez nombreuses grandes entreprises et quelques plus petites ont créé leur « université d’entreprise » (Accor, Arcelor, Areva, Edf, Veolia, Groupama, BNP-Paribas, Banques populaires, Caisse d’Épargne, Gdf-Suez, Thalès, Clarins, Bouygues Construction, Eads, Ratp, Banque de France, Carrefour, Thomson, Casino, Cap Gemini Ernst Young, PPR, Galeries Lafayette, Legris Industries…).Il en existe près d’une centaine. Là, elles offrent des formations, surtout à leurs cadres, formations professionnelles et culture d’entreprise bien sûr, mais aussi séminaires et conférences d’analyse du monde d’aujourd’hui, dans ses aspects économiques, géopolitiques, environnementaux, prospective, pour une ouverture d’esprit et un élargissement de leur vision. Elles en font un outil important dans l’organisation et la gestion des changements.
Enfin, certaines entreprises organisent pour leurs salariés des conférences culturelles. Ainsi, la Société générale, qui investit dans le mécénat, organise chaque mois une présentation des nouveaux achats d’œuvres d’art et des conférences régulières.

Ces initiatives restent malgré tout limitées. La place de la culture dans « l’économie de la connaissance » est encore bien minimisée !
Il y a encore beaucoup à faire. Il est certainement nécessaire que des chercheurs, sociologues en particulier, viennent préciser les raisons de blocage et de difficultés, les apports d’un rapprochement des entreprises et des administrations avec la culture pour développer leur attirance à l’inclure dans leur stratégie et leurs actes. À côté de la recherche, du développement de hautes qualifications professionnelles, c’est un facteur indispensable à la mise en œuvre d’une société de la connaissance, objectif européen commun aux 27 pays depuis qu’a été définie la « stratégie de Lisbonne ».