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Organiser et sécuriser les nouvelles formes du travail indépendant

samedi 20 janvier 2018

Saisi par le Premier ministre d’une réflexion sur le travail indépendant, le Conseil Economique Social et Environnemental a débattu d’un avis le 29 novembre 2017 présenté par Sophie Thierry du groupe des personnes qualifiées. Le sujet a provoqué des débats difficiles entre les différentes composantes de l’assemblée, notamment du côté patronal sur la question de la protection sociale des nouvelles formes de travail indépendant avec le développement des plateformes numériques.

Les nouveaux visages du travail indépendant

L’apparition et le développement de l’autoentreprenariat et la montée en puissance des plateformes numériques ont bousculé l’image traditionnelle du travail indépendant (professions libérales, exploitants agricoles, artisans, commerçants..).

L’avis du CESE s’est plus particulièrement intéressé à cette catégorie de travailleurs « à la lisière du salariat, travaillant avec un seul donneur d’ordre qui fixe de fait les conditions de travail et les tarifs ». Ces métiers souvent récents sont inorganisés « pour faire vivre un dialogue social structuré et générateur de droits, de garanties et de services mutualisés ». Ces activités sont par ailleurs très fragiles en matière de pérennité, de protection sociale ou de niveau de revenu.

Les préconisations du CESE

Si certaines préconisations ont été largement partagées, pour d’autres l’habituel consensus du CESE a volé en éclat notamment sur l’assurance chômage où l’avis a reconnu un « dissensus » entre le patronat et les autres composantes de l’assemblée.

Le CESE préconise d’abord d’organiser ces professions

Pour cela, l’avis suggère qu’une concertation soit engagée entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux pour mettre en place un système de représentation collective. Cela commence par l’identification des différents acteurs (donneurs d’ordre, plateformes, représentants des travailleurs) et une meilleure connaissance de leur réalité sociale et économique.

Il faut aussi responsabiliser les acteurs et garantir leur autonomie

Suivant en cela les différents rapports produits sur cette question et l’approche de la loi Travail de 2016, le CESE refuse la mise en place d’un nouveau statut juridique qui serait « inadapté à l’hétérogénéité des situations et fragiliserait davantage le marché du travail ».

Mais s’il faut garantir l’autonomie de ces nouveaux emplois, il faut intensifier la lutte contre les pratiques illégales ou frauduleuses visant à contourner les règles du salariat et à biaiser la concurrence. Le rapport demande même que les grandes plateformes aient l’obligation de s’engager dans une démarche de responsabilité sociale, économique, environnementale.

Accompagner les travailleurs indépendants, faciliter la continuité de l’activité, faciliter l’identification des abus et privilégier la médiation

Les préconisations du CESE visent à mobiliser les acteurs de la création d’entreprise (Chambres consulaires, Régions, réseaux concernés, etc.) pour accompagner les nouveaux travailleurs dans leur démarche de création ou de reprise d’activité. Il faut aussi créer des systèmes de mutualisation des remplacements en cas de maladie ou formation et gérer les différends en étendant aux relations entre donneurs d’ordre et travailleurs indépendants le dispositif de médiation interentreprises du ministère des finances.
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Mais c’est bien sûr sur les questions de sécurisation des droits des travailleurs indépendants que le CESE était attendu

C’est sur cette question que les débats ont été les plus difficiles même si le CESE s’est retrouvé sur l’objectif de sécurisation des mobilités professionnelles pour atténuer les effets de rupture sur la protection sociale liés à l’alternance d’activités professionnelles sous différents régimes. Incontestablement, il s’agit là d’une avancée majeure en matière de sécurisation des parcours professionnels quel que soit le statut du travailleur.

Le CESE fait des préconisations (pas toutes partagées) en matière de « risque de perte de revenu »

Pour le CESE, la construction d’un système de protection du risque de perte de revenu généralisé n’est pas concevable aujourd’hui et il existe par ailleurs des solutions d’assurance privée reposant sur le volontariat. Celles-ci ne semblent pas toutefois pouvoir être accessibles aux travailleurs les plus fragiles (coût, problèmes techniques, etc).

Alors le CESE recommande de faire une expérimentation avec les travailleurs des plateformes qui « détermine les caractéristiques de la prestation de service fourni ou du bien vendu et fixe le prix ». S’ils décident de l’expérimentation, les partenaires sociaux devront préciser les conditions de l’ouverture des droits (évaluer le caractère involontaire de la cessation d’activité et son contrôle), déterminer la durée d’indemnisation, le revenu de remplacement et la cotisation du travailleur et des plateformes pour assurer l’équilibre financier du régime.

Même assorti de toutes ces conditions, le patronat n’a pas voulu s’engager sur cette préconisation préférant le recours à l’assurance privée volontaire. L’avis fait donc état de ce « dissensus ».

Rendre effectif l’accès à la formation par la mise en œuvre du CPF et CEP dans le cadre du CPA

Dès le 1er janvier 2018, les travailleurs indépendants auront les mêmes droits que les salariés concernant le CPF. Pour rendre effectif ce droit, il faut mutualiser les financements et accompagner individuellement les indépendants. Il faut aussi pouvoir leur permettre de s’absenter pour se former.

Mieux prendre en compte les risques professionnels et la protection sociale

D’autant plus fragilisés par les risques professionnels parce qu’ils en assument seuls la responsabilité et qu’ils privilégient la continuité de leur activité sur leur état de santé, c’est un enjeu fondamental. Le CESE propose d’aller plus loin que la loi Travail de 2016 (remboursement de la cotisation aux travailleurs qui ont une assurance volontaire) en créant une obligation pour les plateformes de souscrire un contrat d’assurance collectif sur le risque accident du travail pour l’ensemble des travailleurs qu’elles mobilisent. Il fait aussi des propositions en matière de prévention.
Il s’agit enfin d’améliorer la protection sociale notamment en faisant en sorte que toutes les cotisations d’assurance obligatoire soient prélevées directement à la source. Il suggère que les droits à la protection sociale soient renforcés par leur portabilité et leur transférabilité en prenant exemple sur ce qui se fait dans le cadre du CPA. En matière de retraite, il recommande que les affiliés soient systématiquement informés sur les possibilités de rachat de trimestres. Il propose aussi une concertation pour trouver une solution « souple et adaptée à chaque secteur d’activité » sur le congé maternité et paternité.
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Au travers de cet avis le CESE est pleinement dans son rôle de proposition qui tient compte de l’état de la réflexion et du positionnement de chacun des acteurs. D’un côté ceux qui ne veulent pas entendre parler d’une quelconque organisation du secteur soit par peur de la concurrence soit par refus de cette nouvelle réalité qui remet en cause le modèle actuel entre entreprises et salariat. On les trouve aussi bien du côté salariés (CGT ou SUD) que du côté patronal (artisanat, professions libérales). De l’autre, ceux qui veulent prendre en compte cette réalité tout en émettant des craintes du côté syndical sur les risques de déstabilisation du marché du travail ou de la protection sociale et, du côté patronal, sur le risque d’augmentation des cotisations notamment en matière d’assurance chômage.

Autant dire que la tâche va être ardue pour les pouvoirs publics et les partenaires sociaux pour trouver une solution qui permette d’avancer sur une plus grande universalité des droits en la matière. Au-delà du débat sur le travail indépendant, incontestablement, cet avis constitue un point d’appui pour tous ceux qui militent pour la sécurisation des parcours quels que soient les statuts et trajectoires professionnelles.


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