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Société fracturée, confiance érodée dans les institutions

samedi 10 décembre 2016

Ainsi pourrait se résumer un des derniers rapports de France-Stratégie intitulé « Lignes de faille » et qui pointe le pessimisme des Français concernant leur situation. Il s’attache à présenter la réalité moins sombre à partir des statistiques officielles. Mais le grand intérêt du rapport part de l’hypothèse que ce pessimisme exacerbé trouve sa source dans une crise de confiance dans les institutions économiques, politiques et sociales et dans un doute profond sur nos capacités collectives à réformer notre pays. Lecture éclairante en ces moments de pré-campagne présidentielle.

À l’origine du rapport, les attentats de janvier 2015

France Stratégie a voulu écouter ceux qui, par leur expérience vécue ou par leur domaine d’expertise, pouvaient aider à identifier les tensions sociales, communautaires, religieuses, territoriales qui traversent la société française. Tous ont confronté leurs diagnostics sur une société inquiète.
Au total, les Français portent sur eux-mêmes un regard excessivement noir et sont exceptionnellement pessimistes quant à l’avenir. Ils se perçoivent comme profondément divisés. De même sur l’emploi, les revenus, la mobilité sociale, la situation des jeunes, les territoires, ils portent un regard sombre sur la situation de leur pays et sur leurs propres perspectives d’avenir.

Ce que disent les indicateurs statistiques

Le diagnostic ne reflète pas nécessairement les indicateurs statistiques. Pour ne citer qu’un exemple, si on évoque les comparaisons européennes, la France est un des pays où la distribution des revenus est la moins inégalitaire. Paradoxalement, la perception des antagonismes sociaux y est très aiguë et les Français ont un fort sentiment de déclassement. Un chiffre en témoigne : 75 % se positionnent spontanément dans les classes populaires, défavorisées ou moyennes-inférieures alors qu’ils appartiennent pour les deux tiers à la classe moyenne. Le rapport s’attache à faire la part des choses entre le regard des Français sur eux-mêmes et les chiffres.

Ces opinions traduisent une perte de confiance dans les institutions

Dans son introduction au rapport, le directeur général Jean Pisani-Ferry relève que « le pessimisme des Français est cependant trop systématique pour relever d’explications partielles ». À défaut d’une explication unique, le rapport privilégie une hypothèse. « Ce qu’il désigne en définitive, c’est un doute sur les institutions économiques, politiques et sociales qui organisent notre vie collective : l’entreprise, l’école, le service public, la Sécurité sociale, l’État régalien, la démocratie représentative ». Pour les auteurs du rapport, cela met en lumière une défaillance du contrat social qu’il y a lieu de refonder.

Les principaux éléments à retenir de la synthèse du rapport

  • Dans l’entreprise : du compromis à la défiance

Accroissement du poids décisionnel des actionnaires, développement du management par objectifs, affaiblissement du syndicalisme et faiblesse du dialogue social dans l’entreprise expliquent la distance qui se creuse entre les salariés et leur organisation.

  • Les services publics en crise de légitimité

Réformes de l’administration et diversification des besoins des usagers tendent à affaiblir la fonction d’intégration sociale des services publics. Déserts médicaux, non recours des publics les plus défavorisés aux aides qui leur sont destinées, violence dont les agents publics sont victimes... signalent les difficultés qu’ont les services publics à satisfaire les attentes des usagers.

  • L’école ne tient pas ses promesses d’égalité

Marquée par la prégnance des déterminismes sociaux et par une performance globale décevante, l’école française manque à sa promesse d’égalité malgré de nombreuses réformes. Une défaillance à laquelle contribuent la ségrégation résidentielle, les stratégies individuelles des familles, qui réduisent encore la mixité sociale, mais aussi les discriminations sur le marché du travail, qui découragent l’investissement scolaire.

  • Institutions de solidarité : le doute s’installe

Très attachés à leur modèle social, les Français doutent aujourd’hui de son efficacité et de sa soutenabilité. Les réformes successives censées permettre la prise en charge des nouveaux risques sociaux ont, semble-t-il, brouillé la logique de fonctionnement du système redistributif. Les prestations non contributives cristallisent notamment les ressentiments de ceux qui ont l’impression de payer pour les autres.

  • Sécurité : vers une crise de confiance

Les Français éprouvent un sentiment d’insécurité qui ne traduit pas nécessairement une aggravation du risque. Insécurité face à laquelle ils attendent de l’État des actions préventives et davantage de proximité. Dans une relation de méfiance grandissante avec la police, ils tendent à mettre en question la capacité de l’État à les protéger efficacement face au danger.

  • La fatigue démocratique

La démobilisation électorale de certains Français (plus marquée chez les jeunes et les catégories populaires) traduit une critique sévère de la classe politique, à qui l’on reproche son impuissance mais aussi son manque de probité. La représentativité des élus est remise en cause, mais de nouvelles formes d’exercice de la démocratie pourraient rénover nos institutions et nos pratiques.

Comment réunifier ?

La dernière partie de ce rapport ouvre le débat sur la résorption de ces fractures et comment permettre aux Français de se rassembler et de regarder ensemble vers l’avenir. En premier lieu en évitant les fausses bonnes idées (segmentation des politiques publiques, dérive clientéliste, communautaire…). Ensuite en relevant les défis incontournables, un débat politique sincère, des règles claires et bien acceptées, des institutions qui incarnent ces règles, des responsables qui rendent des comptes. Et enfin, ouvrir le débat avec tous les Français pour décider ensemble de l’avenir. Ils seraient appelés à répondre à la question « que voulons-nous faire ensemble ? », plutôt qu’à la question « qui sommes-nous ? ».

Ce rapport très éclairant fait résonnance avec de nombreuses réflexions sur ce qui compose notre démocratie et lui permet de vivre. En la matière, il est utile de réfléchir à la place prise par les réseaux sociaux et certains médias car, comme l’indiquait la philosophe Cynthia Fleury dans une interview récente : « Tout en permettant une régulation citoyenne de l’information plus efficace, les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent à la propagation de la désinformation et de la rumeur un terrain des plus propice ». Et elle poursuit en s’interrogeant si nous sommes entrés dans l’ère de la post-vérité au sens où « la vérité n’est plus ni une valeur ni une exigence et qu’elle est mise en doute au même titre que toute autre information ».
Réflexions pour les citoyens du XXI° s que nous sommes !


Sources