Le droit et la réalité
En France, le droit de grève et la liberté syndicale sont garantis constitutionnellement. Mais on constate que l’engagement syndical s’accompagne souvent d’une stigmatisation car pour certains employeurs il est jugé comme incompatible avec la performance économique. Ainsi, les pratiques antisyndicales, parmi lesquelles les discriminations, ne sont pas un phénomène isolé, tant dans le secteur privé que public.
C’est pour toutes ces raisons que le Défenseur des droits associé à l’OIT (Organisation internationale du travail) s’est saisi de ce dossier car, en vertu de la loi organique du 29 mars 2011, il est chargé de « lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ».
Une enquête inédite
L’enquête, inédite par son ampleur et sa méthode, a interrogé deux groupes d’individus sur leur perception et leur expérience :
- d’un côté 1 000 personnes représentatives de la population active et, de l’autre,
- 33 000 adhérents et adhérentes des huit principales organisations syndicales françaises (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FO, UNSA, FSU et Union syndicale Solidaires) qui ont accepté de participer en diffusant un lien vers un questionnaire auto-administré.
Le questionnaire, accessible en ligne du 1er au 30 avril 2019, a permis de recueillir 33 483 réponses. Parmi les répondants syndiqués, 53 % sont des hommes et 47 % des femmes, l’âge moyen est de 49,1 ans et 91 % sont en emploi actuellement. Le nombre élevé de réponses montre l’importance que les syndiqués y accordent.
Les résultats sont cruels
- La discrimination syndicale au travail est une réalité pour 46 % des personnes syndiquées, ce chiffre est très élevé.
- Certaines catégories de personnes syndiquées rapportent plus de discriminations que les autres. C’est le cas des hommes, des ouvriers et des ouvrières, des personnes en situation de handicap ou atteintes d’une maladie chronique, ou qui ont une personne dépendante à leur charge.
- L’engagement syndical est perçu comme un risque professionnel pour 42 % de la population active et 67 % des syndiqués interrogés. Ce qui freine le plus l’engagement, c’est la peur des représailles (35 %).
- Les discriminations syndicales prennent souvent la forme de sanctions : absence d’évolution de carrière pour 47 % des personnes syndiquées interrogées, dégradation du climat de travail (44 %), des conditions de travail (36 %) et non-augmentation salariale (30 %).
- Plus grave encore, engager un recours s’accompagne de représailles : 44 % des personnes discriminées interrogées l’ont vécu. La difficulté de prouver la discrimination est la principale cause de non-recours.
L’engagement du Défenseur des droits
Dans sa présentation à la presse des résultats, le Défenseur des Droits s’est adressé directement aux représentants syndicaux en leur disant : « osez-vous défendre, saisissez-nous, c’est une manière de faire respecter votre droit, de faire respecter la liberté syndicale et nous sommes une voie pour que ce droit fondamental soit respecté. »
Plus pragmatiquement, ses services ont publié un memento sur les discriminations syndicales dans l’emploi privé pour que tous ceux qui sont concernés puissent s’informer, se défendre.
Les réactions institutionnelles et syndicales
« La lutte contre la discrimination syndicale est particulièrement importante, car celle-ci empêche le dialogue social » confirme Cyril Cosme, directeur du bureau de l’OIT pour la France. Or, « un dialogue social de qualité, c’est la condition préalable au pari du nouvel édifice de la hiérarchie des normes sociales, qui place la négociation d’entreprise au cœur de la création des règles de droit du travail ».
Pour la CGT : la réalité des discriminations syndicales en France est enfin reconnue et la CFDT, au vu de l’ampleur des atteintes signalées, demande que toutes les parties prenantes (organisations syndicales, organisations patronales, État) se réunissent pour que cette situation cesse.
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