mercredi 15 février 2017
Dans l’économie française d’aujourd’hui, tous les « groupes » ne sont pas de « grands groupes ». En 2008 déjà, l’INSEE dénombrait 34 467 groupes. 7,8 millions de salariés y étaient employés, soit plus de 56% ses salariés hors secteur financier. Sur ce total, 32 668 groupes employaient 2,105 millions de salariés, soit, en moyenne, un peu moins de 65 salariés par groupe. Ces chiffres sont éloquents. Le « groupe (de sociétés) », constitué de plusieurs personnes morales contrôlées (comprendre « dominées ») par l’une d’elles, s’est banalisé comme modèle d’organisation juridique et financière des entreprises. Le vocabulaire courant, aussi bien, du reste, que celui du Droit, ont beau continuer de confondre implicitement l’« entreprise » et chaque société ou, plus généralement, chaque personne morale, qu’elle soit indépendante ou qu’elle fasse partie d’un groupe, il n’en demeure pas moins que ce dernier est, le plus souvent, une forme d’entreprise.
Par suite, il n’y a rien d’étonnant à ce que, en nombre croissant, des directions de groupes aient cherché à négocier, non seulement des accords-cadres à décliner dans chaque filiale, mais des accords susceptibles de régir directement les relations du travail entre celles-ci et leurs propres salariés. Ce n’est qu’en 2003 (pour la jurisprudence [1]) et en 2004 (pour la loi [2]) que la capacité d’un accord de groupe à produire de tels effets a été reconnue. Pour autant, le droit persistait à distinguer la figure de l’accord de groupe de celle de l’accord d’entreprise et à laisser le premier en retrait par rapport à ce dernier. Il a fallu le rapport Combrexelle (cf. propositions n°36 et 37) et la loi Travail pour parachever l’assimilation de l’accord de groupe à l’accord d’entreprise, et pour lui conférer même une primauté par rapport à ce dernier.
1. L’assimilation de l’accord de groupe à un accord d’entreprise
En premier lieu, les organisations syndicales sont habilitées à négocier et à conclure des accords collectifs dans le cadre d’un groupe suivant les mêmes règles qu’au sein de l’entreprise (art. L.2232-34). Ces règles sont devenues plus complexes pour la durée de l’entrée en vigueur progressive de la loi Travail :
Toutefois, le législateur ne pouvait méconnaître que les « frontières » des groupes sont instables. Couramment, les sociétés dominantes prennent ou cèdent le contrôle de sociétés (dites « entreprises »). Ainsi, celles-ci entrent dans des groupes ou en sortent. Or, lorsque, dans un groupe ou dans une entreprise à établissements distincts, les élections sont échelonnées entre ces derniers, la jurisprudence impose d’apprécier la représentativité des organisations syndicales au vu des résultats qu’elles ont recueilli au cours du « cycle » [3] électoral. Cette règle est susceptible de produire des effets extrêmement choquants lorsque, au cours du cycle écoulé, la configuration du groupe a évolué sensiblement. Il a donc fallu aménager les modalités d’appréciation des organisations syndicales.
Les dispositions introduites par la loi Travail distinguent deux hypothèses :
Comme les accords d’entreprise, les accords de groupe doivent être notifiés « à l’issue de la procédure de signature » par la partie la plus diligente – en fait, le plus souvent, l’employeur ou la direction du groupe – à toutes les autres parties à la négociation (art. L.2232-5). Ils doivent être déposés, sur support papier signé des parties et sur support électronique, à la DIRECCTE dans le ressort de laquelle ils ont été signés, accompagnés de la preuve de leur notification, des PV de résultats des dernières élections. Ils doivent être aussi déposés au Conseil de Prud’hommes du lieu de conclusion (art. D.2231-2 et suiv.).
En second lieu, les mêmes compétences sont désormais reconnues à la négociation collective dans le cadre du groupe que dans celui de l’entreprise.
Le groupe est d’abord assimilé à l’entreprise comme niveau de négociation collective. « L’ensemble des négociations prévues par le présent code au niveau de l’entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions, sous réserve des adaptations prévues à la présente section » (art. L.2232-33 C. Trav.). Par voie de conséquence, les entreprises qui doivent engager périodiquement des négociations sur certains thèmes (salaires réels…) en sont dispensées, non seulement si cela a été stipulé dans un accord de méthode de groupe, mais aussi dès lors que, sur un tel thème, un accord a déjà été conclu dans le cadre du groupe (ou d’une partie du groupe à laquelle cette entreprise appartient – art. L.2232-33).
De plus, une autonomie identique à celle de l’accord d’entreprise est reconnue désormais à l’accord de groupe à l’égard des conventions et accords de branche. La loi Travail a supprimé, en effet, la règle selon laquelle « la convention ou l’accord de groupe ne peut comporter des dispositions dérogatoires à celles applicables en vertu de conventions de branche ou d’accords professionnels dont relèvent les entreprises ou établissements appartenant à ce groupe, sauf disposition expresse de ces conventions de branche ou accords professionnels » (art. L.2232-35, ancienne rédaction). Désormais, comme l’accord d’entreprise, l’accord de groupe peut donc déroger à l’accord de branche, excepté seulement si celui-ci en dispose autrement, et, bien entendu, excepté sur les thèmes réservés à la branche (salaires minima, classifications, garanties collectives de protection sociale complémentaire, prévention de la pénibilité, égalité entre femmes et hommes, mutualisation des fonds de la formation professionnelle).
[1] Cass. Soc. 30 avril 2003, n°01-10.027, D. Soc. 2003, p.732.
[2] Loi n°2004-391, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social du 4 mai 2004.
[3] Ensemble des élections de C.E. dans tous les établissements, déterminé à compter de la première élection soumise à la loi du 20 août 2008, puis à compter de chaque scrutin de renouvellement ultérieur.