samedi 23 novembre 2019
Note de lecture
Livre de Yann ALGAN- Elizabeth BEASLEY, Daniel COHEN, Martial FOUCAULT - La République des idées » / Seuil – 190 pages avec annexes – août 2019
Il s’agit d’un ouvrage de substance, synthétique, tout à fait intéressant. L’intérêt du livre est qu’il ne s’appuie pas uniquement sur des analyses économiques globales mais également sur des appréciations individuelles rassemblées au sein de nombreuses bases de données (CEVIPOF, European Social Survey…) que les auteurs croisent et exploitent à merveille.
La montée des forces « antisystème » - nous disent les auteurs - est liée à la détérioration des conditions d’existence des classes moyennes et populaires frappées par l’insécurité économique et le croisement des inégalités : si l’instabilité économique est la force première qui explique la poussée populiste, il faut y ajouter la crise « culturelle » caractérisée par la montée en puissance d’une société des individus.
C’est le croisement démontré par de nombreux graphiques à partir de deux axes, l’insécurité économique et la montée en puissance d’une société des individus, qui forme le raisonnement de fond de cet ouvrage.
Ceci est expliqué par le niveau – plus ou moins important - du degré de confiance à l’égard d’autrui et traduit par l’indicateur : « diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou que l’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? ». Sur ce critère on constate de sérieuses différences entre les divers électorats.
À partir de l’exploitation de ces différents éléments les auteurs considèrent alors que la crise actuelle est triple :
À ces risques économiques structurels s’est ajoutée la crise financière de 2008 avec ses aspects dévastateurs pendant plus d’une décennie dans les pays européens.
L’ouvrage analyse ensuite dans le détail l’élection présidentielle de 2017 en prenant comme références : la crise de l’axe gauche-droite ; la prise en compte dans les différents électorats de l’éducation et du revenu mais celle du « bien-être » (la satisfaction dans la vie) et la confiance en autrui.
Une classification des différents électorats (en France) est alors proposée qui prend en compte les idéologies (comprendre le soutien à un ensemble de valeurs) :
Cette classification s’appuie sur les enquêtes du CEVIPOF.
Un chapitre du livre (5) est inhabituel et intéressant : il est consacré à « l’électeur émotionnel » avec un positionnement sur ce thème des différents électorats en tenant compte des émotions négatives (peur et colère), des émotions positives (enthousiasme et espoir) et de deux plus modérées (inquiétude et amertume).
Un chapitre différent est consacré aux « gilets jaunes » caractérisé par la rencontre d’une crise sociale et d’une crise territoriale.
Un autre développement se focalise sur les populismes en Europe et aux États-Unis – illustré par de nombreux graphiques - mais la conclusion de ce chapitre est claire, on retrouve le même schéma partout, les mêmes motifs que ceux analysés pour le cas français.
La conclusion de l’ouvrage est édifiante : « Dans la société des individus que fabrique le monde moderne, lorsque s’est désagrégé le ciment idéologique qu’offrait à chacun la société de classes, la confiance interpersonnelle est devenue le filtre qui permet aux individus de se donner un projet de société désirable ».
En ce sens ce livre apporte vraiment des éléments de compréhension nouveaux sur la poussée populiste qui est tout sauf hexagonale : la focale mise sur la société des individus – en complément des considérations économiques et sociales - est tout à fait enrichissante et bienvenue.