Pour Baverez, autant qu’une crise, c’est d’une révolution dont il s’agit. Révolution économique avec la fin du cycle néolibéral de la mondialisation entamé à la fin des années 1970 (marqué par le retrait de l’Etat, la déréglementation, l’ouverture des frontières, l’innovation financière et le primat de la politique monétaire). Révolution géopolitique avec le bouleversement de la hiérarchie des nations et des continents (déclin relatif des pays développés, y compris les Etats-Unis, ascension de nouvelles superpuissances du Sud, la Chine en tête). Révolution politique avec le défi d’imaginer des institutions et des règles pour la mondialisation (à l’heure de l’exacerbation des nationalismes et des tentations protectionnistes). Révolution intellectuelle et idéologique avec la déconfiture du néo-conservatisme et l’effondrement du mythe de l’autorégulation des marchés.
Selon l’auteur, il s’agit d’une crise complexe, affectant l’immobilier, le crédit, le système financier, la croissance et l’emploi, d’une crise mondiale, la première du capitalisme universel.
C’est une grande crise économique, qui remet en question la norme du capitalisme tel qu’il s’est développé depuis trois décennies. C’est l’écroulement d’un mode d’organisation des échanges mondiaux confrontant des nations qui s’endettent pour consommer et importer et d’autres qui épargnent pour investir et exporter. CE sont des déséquilibres profonds dans l’utilisation de l’épargne mondiale et dans le partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail. Il s’agit bien d’un bouleversement stratégique qui modifiera le système géopolitique et la hiérarchie des puissances. C’est donc finalement une rupture historique.
Pour Baverez, tout se joue dans les réponses à cinq grands défis
- 1. Le régime de croissance, fondé sur la consommation à crédit au Nord de la planète, l’exportation et l’épargne forcée au Sud, s’est révélé insoutenable. Trois relais de croissance : la consommation des nouvelles classes moyennes au Sud, l’économie de la connaissance, les activités liées à la protection de l’environnement. Le Nord doit redevenir un site de production, y compris sur le plan industriel, mais la maturation sera longue alors que la politique économique sera centrée sur le pansement des plaies du passé. Or de cette adaptation dépendra la nouvelle hiérarchie des puissances.
- 2. Avec la crise, le chômage est de retour, de manière massive et durable. Et la France est toujours à la recherche de la politique de l’emploi, jusqu’à présent introuvable, non pas faute de moyens ou de solutions, mais par impossibilité à construire la confiance impliquant tous les acteurs, pas seulement « macro » (Etat, organisations patronales et syndicales), mais aussi « micro » (les entreprises, les individus, les associations, les acteurs de l’emploi et de la formation).
- 3. Le nouveau risque se situe sur les dettes publiques ; ce qui se passe en Europe en témoigne largement. « Il n’y a pas de déficits sans pleurs » (Jacques Rueff). Sauf à imaginer des scénarios catastrophes (inflations galopantes, dévaluations, éclatement de la zone euro, courses au protectionnisme), les déficits publics seront longs à résorber compte tenu de la faiblesse de la croissance. N. Baverez écrit ces phrases prémonitoires : la perte de contrôle de l’endettement public et la transformation des banques centrales en structures de défaisance créent le risque d’une nouvelle et ultime bulle spéculative.
- 4. N. Baverez met en garde contre le retour de l’inflation « l’inflation n’est pas un remède au surendettement, mais un mal supplémentaire ». Elle reporte dans le temps les ajustements nécessaires en levant un impôt occulte sur l’épargne longue, qu’il est impératif de reconstituer pour financer le changement de modèle économique, l’effort d’investissement et de compétitivité du monde développé, l’amélioration des infrastructures et des systèmes éducatifs, le remboursement des dettes publiques enfin.
- 5. Si les puissances qui comptent ont su prendre à chaud le minimum d’initiatives qui ont empêché jusqu’à présent l’effondrement de l’économie mondiale, force est de reconnaitre que l’on est encore loin d’un fonctionnement et d’une coordination des institutions internationales permettant une gouvernance satisfaisante de la mondialisation sur le plan financier et monétaire.
De plus, pendant la crise économique, la crise écologique continue. Or, la prise en compte du développement durable est compliquée par la chute de l’investissement, la contraction du revenu des ménages et le chômage de masse qui sont autant d’incitations à différer les révisions déchirantes du modèle économique. L’échec de la Conférence de Copenhague l’illustre.
Pour N. Baverez, nous vivons donc une grande transformation du capitalisme. Ce qu’il appelle le « capitalisme universel » a fait la démonstration qu’il était voué à l’explosion s’il devait coexister avec les formes politiques du XXème siècle, le monopole de l’Etat-nation dans la régulation de l’économie et de la société. Le système économique de la mondialisation est multipolaire et hétérogène, et donc foncièrement instable. Alors que le cœur du capitalisme bascule vers l’Asie, le Japon et l’Europe sont menacés par la déflation et la marginalisation. L’Europe et la France sont parmi les grands perdants. La création de l’euro et l’élargissement à l’Est ont masqué le blocage de l’intégration et la renationalisation des politiques. Les Européens, divisés, subissent la crise et leurs réactions manquent de vigueur et de cohérence. La responsabilité principale de la situation critique de l’Europe réside dans les insuffisances de la politique économique.
Au sein d’une Europe fragilisée, la France s’est crue épargnée, en fait elle n’a pas échappée au choc : forte progression du chômage, désindustrialisation et perte de compétitivité, déficit aggravé des comptes publics, déficit de la balance commerciale. La croissance molle a été tirée par une consommation alimentée par les transferts sociaux financés par l’endettement public. La crise amplifie trois fléaux qui minent l’économie et la société françaises : la faible productivité du secteur public et la progression des déficits et de la dette publics ; l’étroitesse et l’hétérogénéité du secteur privé alors que la crise parachève la désintégration du tissu industriel régional et frappe de plein fouet des secteurs stratégiques ; le chômage permanent qui mine le lien social et la cohésion nationale, réactivant la hantise du déclassement, tétanisant la société française et encourageant le malthusianisme et les corporatismes. La crise est une raison majeure pour accélérer les réformes.