Les chauffeurs Uber sont des « travailleurs » (« workers »)
Pour la Cour,
« le service de transport effectué par les chauffeurs pour les passagers passant par l’application Uber est très étroitement défini et contrôlé par Uber. Les conducteurs sont dans une position de subordination et de dépendance par rapport à Uber telle qu’ils n’ont pas ou peu la capacité à améliorer leur situation économique grâce à leurs compétences professionnelles ou entrepreneuriales. Leur seule façon d’augmenter leurs revenus est de travailler plus longtemps tout en respectant constamment les mesures de performance d’Uber »… « Les chauffeurs ont été considérés à juste titre comme des « travailleurs », et ce pendant « toute période pendant laquelle le conducteur est connecté à l’application Uber sur le territoire sur lequel le conducteur est autorisé à opérer et est prêt et disposé à accepter des voyages ». « En se connectant à l’application, un chauffeur est considéré comme un travailleur avec un contrat ».
Mais qu’est-ce qu’être « travailleur » ?
Le statut de « travailleur » au Royaume-Uni
Il faut dire que le Royaume-Uni a depuis 1996 trois statuts d’emploi : salarié (« employee »), « travailleur » (« worker ») et indépendant (« self-employed »).
Les workers sont ainsi un statut intermédiaire, dont d’ailleurs le syndicat, les TUC (Trades Union Congress), demande la suppression, dans lequel les travailleurs n’ont pas de contrat de travail mais sont subordonnés à l’employeur par une autre forme de contrat (non écrit dans le cas d’Uber), un contrôle étroit et une dépendance économique, sans marge de négociation avec le passager. Ce statut leur assure le droit à un salaire minimum, à une durée du travail maximale hebdomadaire, aux congés payés, à la protection contre les discriminations et à celle des lanceurs d’alerte. Mais ils ne bénéficient pas de congés maladie et maternité, d’indemnités de licenciement ni de chômage, ni de droit à la retraite.
Les conséquences de la décision de la Cour suprême
Les chauffeurs britanniques plaignants d’Uber peuvent donc ne plus être considérés comme des indépendants mais comme des « travailleurs » et ils peuvent demander une compensation financière à Uber. Les autres chauffeurs Uber pouvaient demander à bénéficier de cette décision ; ils sont 60 000 en Grande-Bretagne ! Aussi Uber a très vite accepté de considérer ses chauffeurs comme des « travailleurs » et va leur assurer le salaire horaire minimum local (10,18 €), des congés payés, en plus de la couverture santé dont ils bénéficient déjà et ils pourront cotiser à un plan d’épargne retraite. D’autres plateformes pourraient être soumises aux mêmes règles. C’est donc toute l’économie des plateformes qui est touchée par cette décision de la Cour suprême britannique.
En conclusion provisoire
Cette décision britannique au plus haut niveau est donc très importante puisqu’elle oblige les plateformes à revoir complètement leur modèle économique. Elle ouvre cependant une voie qui est différente de celle vers laquelle semble se diriger la France. Comme l’a montré le rapport Frouin [1], ses propositions ne s’orientent pas vers la création d’un 3ème statut, qui « remplacerait une frontière floue par deux frontières qui le seraient autant » et dont les syndicats non plus ne veulent pas, mais vers la détermination de garanties et de protection sociale, de capacités d’être représentés et d’accès à des négociations collectives pour chaque secteur d’activité concerné.
Références
- Supreme court ok UK – Uber and others vs Aslam and others – 19 février 2021 :
https://www.supremecourt.uk/cases/uksc-2019-0029.html
- Sénat – Le statut des travailleurs des plateformes numériques – Étude de législation comparée n° 288 – juillet 2019 :
http://www.senat.fr/.../...