Comprendre pour agir
L’enquête appelle à une observation lucide des réalités migratoires européennes dans toutes leurs dimensions. Elle estime que leurs caractéristiques sont largement méconnues alors que leurs impacts sont pourtant déterminants. Alors que de nouveaux responsables arrivent à la tête des institutions européennes, que bien des tensions et des malentendus existent sur les questions migratoires, les deux think tanks veulent poser les bases d’un nouveau débat européen sur les mobilités et l’intégration dans l’Union et la maîtrise des phénomènes migratoires dans toutes leurs dimensions.
Une observation lucide et une carte originale de l’Europe
Les chercheurs ont procédé à l’analyse de chaque pays à travers le double prisme du solde naturel (naissances/décès) et du solde migratoire. L’hétérogénéité des situations est la règle. Certains pays enregistrent des flux migratoires très nettement positifs (avec des soldes migratoires représentant jusqu’à 1 % de la population) ; d’autres voient au contraire leur population émigrer sans que ces départs ne soient compensés par des flux entrants équivalents.
Sur cette base trois Europe migratoires apparaissent
- Une Europe frappée par un double déclin
De nombreux pays du Sud et de l’Est sont sur une pente de déclin démographique et se vident de leurs habitants en raison de soldes naturel et migratoire négatifs. Par exemple, la Grèce et le Portugal, fortement touchés par la crise de la dette (2010-2013) ont une natalité en berne et connaissent aussi l’émigration d’une main d’œuvre jeune et formée.
De nombreux pays d’Europe centrale et orientale sont en crise démographique à l’exception de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Slovénie. Historiquement, cette situation a d’abord été alimentée par le déclin des systèmes de santé, puis par la crise économique et politique qui accompagna la chute du communisme. En Allemagne de l’Est, le nombre d’enfants par femme a été divisé par deux en quelques années. En Bulgarie, la population devrait passer de 7 millions de personnes en 2017 à 5,4 millions, soit une perte de 23 %. En 2002, la Pologne compte pour la première fois plus de décès que de naissances. Si, depuis, le pays a renoué avec la croissance économique, les Polonais continuent de quitter le pays à la recherche de meilleures conditions de vie : en 2015, près d’un million de Polonais vivaient au Royaume-Uni. La Hongrie, quant à elle, se vide de sa population depuis les années 1980.
- Une Europe dynamique et attractive
Plusieurs pays du cœur historique de l’UE enregistrent des soldes naturel et migratoire positifs et témoignent à la fois de leur vitalité et de leur attractivité. Deux pays typiques de ce mouvement sont l’Irlande et la France, il faut y rajouter les pays nordiques. À partir des années 1990, l’Irlande est entrée dans une période de croissance démographique spectaculaire tirée par un solde naturel et un solde migratoire positifs. La croissance démographique dépasse même 2 % par an entre 2005 et 2008. Le pays compte par ailleurs parmi les pays européens connaissant les taux d’immigration les plus élevés. Par conséquent, la population de l’Irlande est la plus jeune de tous les pays membres de l’Union européenne avec un âge médian de 36,1 ans (en 2011).
La France est une terre de forte vitalité démographique, d’accueil et, depuis peu, d’émigration. La population française croît fortement depuis les années 1990. Cette dynamique procède de soldes naturel et migratoire positifs. Le solde naturel du pays a toujours été positif au cours des vingt dernières années. La France figure parmi les pays de l’Union où la croissance de la population est principalement portée par la croissance naturelle : celle-ci explique plus des deux tiers de l’augmentation de la population, la dynamique migratoire expliquant un peu moins d’un tiers de l’augmentation de la population.
Par ailleurs, l’Hexagone n’est pas seulement une terre d’immigration. La France est également devenue un pays émetteur : en 2006, on compte 180 000 émigrants et 300 000 en 2017, soit une augmentation de plus de 30 % en une décennie.
- Un ensemble de pays atypiques
La population y évolue sous l’effet de forces démographiques contraires puisque la natalité y est négative alors que le solde migratoire y est positif, voire très positif (c’est par exemple le cas de l’Allemagne et de l’Italie). Ces pays compensent la baisse de leur croissance naturelle par l’arrivée de migrants européens et quelquefois aussi de migrants non-européens.
L’Italie connait une trajectoire singulière marquée par un fort renouvellement de sa population. L’atonie de la croissance de la population italienne masque des forces démographiques contraires : une chute de la natalité et une hausse du solde migratoire. Historiquement terre d’émigration depuis la seconde partie du XIXème siècle, l’Italie est devenue un pays d’immigration depuis les années 1970.
En Allemagne, les politiques d’accueil compensent la crise démographique. Selon le dernier recensement (2011), l’Allemagne est, avec ses 82,7 millions d’habitants, le 16ème pays le plus peuplé au monde et le premier en Europe. Après un tassement dans les années 1990, la croissance de la population de l’Allemagne s’est rétablie, une tendance qui ne s’est pas démentie depuis. Mais cette évolution n’est pas le résultat d’une dynamique démographique endogène, elle est due essentiellement aux programmes de migration de travail mis en place par les gouvernements des deux Allemagne depuis les années 1960 et poursuivis après la réunification du pays. Avec 12 millions de sa population née à l’étranger, l’Allemagne se place au troisième rang mondial et au premier rang européen des pays ayant un important stock de population née à l’étranger. La bonne santé de l’économie allemande a permis au pays d’intégrer cette population mais comme dans d’autres pays d’Europe, cette ouverture alimente l’extrême-droite (AfD), notamment dans les Länder de l’Est.
La corrélation avec des positions politiques extrêmes
Pour les chercheurs, cette typologie inédite des trois Europe permet de comprendre que les pays les plus hostiles à l’accueil des réfugiés et à la solidarité européenne sont aussi souvent parmi ceux qui connaissent les plus fortes vagues d’émigration de leur propre population, dans des proportions parfois sans équivalent dans le passé en temps de paix.
En conclusion, l’enquête plaide pour une nouvelle approche du débat sur les mobilités et l’intégration. Une analyse approfondie des trajectoires et, au niveau européen, une réflexion sur les réorientations politiques susceptibles de mieux accompagner, voire de compenser les transformations qu’elles suscitent, par exemple, une réorientation des politiques européennes de cohésion et des fonds structurels. Enfin, car tout est lié, concernant les politiques migratoires extérieures à l’Europe, débattre d’un recentrage des priorités politiques de l’Union et de ses États dans la définition des nouveaux partenariats internationaux. |
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