L’équilibre politique est parallèle à celui du Parlement européen, il penche à droite. Mais si les partis populistes et d’extrême droite ont progressé, une majorité reste possible entre le Parti populaire européen (PPE) qui représente les partis conservateurs et démocrates chrétiens (12 Commissaires) Renew qui représente les libéraux dont les macronistes français (5 Commissaires) et le Parti socialiste européen (PSE), 4 Commissaires. Les autres Commissaires se déclarent indépendants et seul un Commissaire vient d’un Parti d’extrême droite néofasciste, l’italien.
Il reste maintenant l’audition de chaque Commissaire par le Parlement européen ce qui n’est pas une simple formalité. Trois candidats avaient été retoqués par le Parlement européen (PE) lors de la précédente législature, dont la française Sylvie Goulard. Les auditions commenceront à la session de novembre (du 4 au 12) et se poursuivront certainement en décembre, voire plus si des difficultés apparaissent. Si des candidats Commissaires sont recalés, cela nécessitera d’autres nominations par les États concernés et de nouvelles auditions. La Commission pourrait donc ne pas être en état de marche avant janvier. Au-delà de la nomination des Commissaires, les portefeuilles de chacun d’eux seront importants à examiner. Des appellations nouvelles interpellent telle celle sur l’emploi et le social. Depuis les années 70 il y a toujours eu un Commissaire chargé de l’Emploi et des Affaires sociales (ou droits sociaux), le nouveau portefeuille s’appellerait « Personnes, compétences et préparation » ce qui est bien ésotérique et a déjà fait réagir fortement la Confédération européenne des syndicats. Voyons maintenant les différentes candidatures aux postes de Commissaires entre ceux qui courent de grands risques, ceux qui seront chahutés et ceux qui ne risquent pas grand-chose.
Ceux qui vont passer sur le gril
Quelques candidats risquent de passer un sale quart d’heure devant les parlementaires européens et d’être recalés pour des raisons politiques ou de compétences. Le Parlement européen a un pouvoir d’audition dont il ne va pas se priver pour marquer son pouvoir. Deux ou trois candidats Commissaires devraient en faire les frais.
Tout d’abord le candidat hongrois, Oliver Varhelyi, qui a été nommé Commissaire pour la Santé et le Bien-être animal. Déjà Commissaire dans la Commission précédente, en charge du voisinage et de l’élargissement, il a été très controversé dans la précédente législature en méprisant les députés européens et en agissant en électron libre. Le dossier dont il hérite est faible et humiliant pour Orban…preuve de la marginalisation de la Hongrie. Il risque gros devant les parlementaires européens !
Avec l’Italien Raffaele Fitto, c’est l’extrême droite qui arrive au plus haut niveau des Institutions européenne. Il hérite d’une Vice-présidence exécutive chargé de la Cohésion et des Réformes, ce qui semble un dossier « très administratif ». Von der Leyen n’a pas oublié que ce qui semblait être des bonnes relations avec Meloni n’a pas empêché celle-ci de s’abstenir lors de sa nomination en juillet par les Chefs d’État et de gouvernement et de demander à ses troupes de Fratelli d’Italia au Parlement européen de voter contre (401 pour 184 contre).
Le Slovaque Maros Sefcovic, rescapé de l’ancienne Commission mais aussi Commissaire sans interruption depuis 2009, sera responsable du Commerce et de la Sécurité économique. Il perd sa Vice-Présidence mais voit ses responsabilités élargies malgré l’évolution politique de la Slovaquie avec l’arrivée au pouvoir de Robert Fico pseudo socialiste plutôt dans la veine d’Orban, populiste, poutinien et mettant en cause de l’État de droit. Les députés européens vont lui faire passer une audition musclée.
Le Grec, Apostolos Tzitzikostas sera le Commissaire chargé du Transport et du Tourisme durables. Il sera interrogé sur ses positions antérieures concernant son opposition aux droits des personnes LGBT+, à l’accord avec la Macédoine du Nord ou sa complaisance avec le parti d’extrême droite « Aube dorée ». Mais il pourra compter sur l’appui du Premier ministre grec membre éminent du PPE, proche allié de Von der Leyen.
Ceux que l’on va titiller
D’autres candidats vont subir un interrogatoire en règle par les eurodéputés concernant leurs compétences et leurs positions passées.
La Belge, Hadja Lahbib sera la Commissaire à la Préparation et à la Gestion des crises. Elle a été très controversée en Belgique sur ses positions plutôt pro-poutiniennes quand elle était journaliste et elle avait dû démissionner de son poste de ministre des Affaires étrangères après la délivrance de visas à des Iraniens pour participer à une conférence à Bruxelles.
L’Espagnole, Teresa Ribera sera Vice-présidente exécutive en charge de mener une Transition propre, juste et compétitive et de la concurrence. Elle est plus que compétente pour les fonctions qui lui sont attribuées ayant été une ministre importante du gouvernement de Pedro Sanchez en charge de la Transition écologique et fervente défenseur du « Green deal » européen. Elle risque quelques attaques (en particulier des Français ?) sur sa position très anti-nucléaire.
Le Français, Stéphane Séjourné sera Vice-président exécutif chargé de la Prospérité et de la Stratégie industrielle. Venu en catastrophe après la « démission » de Thierry Breton sur le dossier de politique industrielle, il va être passé au crible mais il connait bien les arcanes bruxellois ayant été le chef de groupe Renew au Parlement européen.
L’Irlandais, Michael McGrath sera le Commissaire chargé de la Démocratie, de la Justice et de l’Etat de droit. Ses positions passées contre la légalisation de l’avortement et la défense de la faible fiscalité imposée par son pays aux multinationales risquent de lui amener quelques attaques.
Le Maltais, Glen Micallef devient Commissaire chargé de l’Équité intergénérationnelle, de la Culture, de la Jeunesse et du Sport. Il va certainement être sérieusement secoué sur son manque d’expérience et de compétence à ce poste, qui est cependant très faible.
La Portugaise, Maria Luis Albuquerque sera Commissaire en charge des Services financiers et de l’Union de l’épargne et de l’investissement. De formation économiste, son rôle dans les politiques d’austérité comme ministre d’État et des Finances au Portugal en 2013-2015 sera certainement critiqué.
Le Néerlandais, Wopke Hoekstra sera Commissaire chargé du Climat, de la Neutralité carbone et de la Croissance propre. Un ancien du pétrolier Shell comme responsable du climat au niveau européen cela ne manque pas de sel et surtout de parlementaires européens pour le passer à la moulinette.
Ceux sans gros problème
Enfin certains candidats ne devraient pas avoir de soucis pour leur confirmation même si quelques questions sur leurs activités ou positions passées pourront les bousculer un peu.
L’Estonienne, Kaja Kallas aura la lourde responsabilité de remplacer Josep Borell comme prochaine Haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité. Elle sera également Vice-présidente exécutive de la Commission européenne. Ancienne Premier ministre de son pays, sa nomination et les dossiers attribués marquent la part importante donnée aux Commissaires des Pays Baltes dans cette période de la guerre en Ukraine.
L’Autrichien, Markus Brunner sera Commissaire Affaires intérieures et Migration. Venant d’un pays où l’extrême droite vient de faire une percée terrible aux élections sur le thème de l’immigration, il aura fort à faire.
Le Letton Valdis Dombrowskis pour un troisième mandat consécutif devient Commissaire à l’Économie et à la Productivité. Il sera également chargé de la mise en œuvre et de la simplification. Il était Vice-président dans la législature précédente.
La Suédoise, Jessika Roswall est nommée Commissaire chargée de l’Environnement, de la Résilience en matière d’eau et d’une Économie circulaire compétitive.
Le Tchèque, Jozef Sikela est nommé Commissaire chargé des Partenariats internationaux.
La Bulgare, Ekaterina Zaharieva sera Commissaire à la Recherche et l’Innovation. Elle a de l’expérience ayant été Vice première ministre et plusieurs fois ministre.
La Croate, Dubravka Suica aura la responsabilité pour la Méditerranée. Elle avait été Vice-présidente de la Commission européenne sortante, chargée de la Démocratie et de la Démographie.
La Finlandaise, Henna Virkkunen sera Vice-présidence exécutive en charge de la Souveraineté technologique, la Sécurité et la Démocratie. Elle en était à son troisième mandat au Parlement européen.
La Roumaine Roxana Minzatu devient Vice-présidente exécutive et supervisera les compétences et la formation, son portefeuille inclut les droits sociaux. Elle aura la lourde tâche de succéder à l’ancien Commissaire luxembourgeois Nicolas Schmit, socialiste comme elle, qui a été très actif avec succès sur le plan des initiatives sociales de la dernière Commission. Elle apparait plus faible et venant d’un pays où le paritarisme n’est pas très développé et la culture sociale encore modeste.
Le Lituanien Andrius Kubilius est nommé Commissaire chargé de la Défense et de l’Espace. Ancien Premier ministre et député européen, il hérite d’un dossier extrêmement sensible dans cette période de tensions internationales et de la guerre en Ukraine.
Le Luxembourgeois, Christophe Hansen sera le Commissaire chargé de l’Agriculture et de l’Alimentation. Il hérite d’un dossier très important et sensible dont le groupe démocrate-chrétien voulait avoir la responsabilité sous l’autorité de la Présidente.
La Slovène, Marta Kos sera la Commissaire chargée de l’Élargissement et du Voisinage oriental. Ancienne journaliste, membre du Mouvement pour la liberté du Premier ministre Robert Golob (affilié à Renew Europe), elle a notamment été ambassadrice de Slovénie en Suisse et en Allemagne.
Le Chypriote, Costas Kadis Commissaire chargé de la Pêche et des Océans. Biologiste spécialisé dans la biodiversité et le développement durable, il a été ministre de la Santé, ensuite ministre de l’Éducation et de la Culture puis ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de l’Environnement. Politiquement il est classé comme “indépendant” sur le plan politique ayant été ministre dans des gouvernements de gauche et de droite….
Le Polonais, Piort Serafin est nommé Commissaire chargé du Budget, de la Lutte antifraude et de l’Administration publique. Proche du Premier ministre polonais Donald Tusk , il a été son chef de cabinet lorsque celui-ci était président du Conseil européen, entre 2014 et 2019. Il est classé comme “indépendant” car non affilié à un parti politique.
Le Danois, Dan Jorgensen sera Commissaire à l’Énergie et au Logement. Il fut plusieurs fois ministre dans des gouvernements de gauche.
Et après ?
Après les auditions et ré-auditions, les confirmations étant toutes réussies, la présidente Von der Leyen présentera le collège des commissaires et son programme en plénière du Parlement. Un débat et un vote permettront d’élire ou de rejeter la Commission dans son ensemble, à la majorité des suffrages exprimés (par appel nominal). La Commission se mettra alors au travail ! Les chevauchements et bi-nomes entre Vice-présidents et Commissaires avec des vues parfois antagonistes (ex. entre Teresa Ribera et Wopke Hoekstra) ne rendront certainement pas le fonctionnement de cette Commission facile.
Lors de sa nomination au Parlement européen en juillet 2024, la Présidente a défendu
« La vision d’une Europe plus forte, qui assure la prospérité, qui protège les personnes et qui défend la démocratie. Une Europe plus forte qui garantit l’équité sociale et qui vient en aide aux personnes. Une Europe plus forte qui met en œuvre ce qu’elle a convenu de manière équitable. Et qui s’en tient aux objectifs du Pacte vert pour l’Europe de manière pragmatique, en respectant la neutralité technologique et en faisant preuve d’innovation ».
Les orientations politiques de la prochaine Commission seront :
- Un nouveau plan pour une prospérité et une compétitivité durables,
- La défense et la sécurité européennes,
- Soutenir les personnes et renforcer nos sociétés et notre modèle social européen,
- Préserver notre qualité de vie, sécurité alimentaire, eau et nature,
- Protéger notre démocratie, défendre nos valeurs et l’État de droit,
- L’Europe dans le monde : user de notre puissance et de nos partenariats,
- Atteindre les objectifs ensemble et préparer notre Union pour l’avenir.
Les dossiers sociaux urgents sont déjà sur la table comme le télétravail et le droit à la déconnexion, la révision de la directive sur les Comités d’entreprise européens.
Les partenaires sociaux devront eux délivrer, début 2025, comme ils s’y sont engagés lors du Sommet Tripartite de Val Duchesse le 31 janvier 2024, un « Pacte pour le dialogue social européen » qu’ils sont en train de négocier. Ensuite ils négocieront leur Programme de travail 2025-2028. Le dialogue social européen est aujourd’hui en grande difficulté.