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Les clés du social : Présidence française de l'UE : bilan social, un succès important mais…

Présidence française de l’UE : bilan social, un succès important mais…

Publié le 29 octobre 2022 / Temps de lecture estimé : 5 mn

La France a présidé le Conseil de l’Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2022 dans une période compliquée, entre gestion de l’évolution de la pandémie, difficultés économiques et invasion de l’Ukraine, sans oublier les élections présidentielle et législative françaises…. Malgré ce contexte, la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux et son Plan d’action n’ont pas été oubliés et la France s’est attachée à résoudre les problèmes de plusieurs propositions de la Commission avec un succès majeur, le salaire minimum européen et l’accord sur la nomination des femmes dans les Conseils d’Administration. Quelques sujets sont encore en panne, comme la transparence sur les salaires H/F, le devoir de vigilance, la révision du Code de Sécurité sociale avec les aspects de portabilité… Le relais est maintenant passé à la Présidence tchèque de l’UE.

Un succès majeur : le salaire minimum européen

Ce n’était pas gagné d’avance ! La Présidence française de l’UE devait surmonter beaucoup de blocages sur cette proposition de la Commission d’octobre 2020. Des négociations difficiles ont été menées particulièrement au Conseil de l’UE. La Présidence française a su jouer avec succès ces négociations, sans altérer l’essentiel de la proposition, en étant un allié décisif de la Commission européenne et en s’appuyant sur un Parlement européen favorable à cette proposition, malgré un lobbying forcené du patronat européen contre un salaire minimum européen. Le fameux « trilogue » (Conseil/Parlement/Commission) a été un succès indispensable et le Parlement européen a finalement voté une proposition de compromis par 505 voix pour, 92 contre et 44 abstentions. Le Conseil européen des ministres sociaux a donc adopté définitivement la Directive le 4 octobre. Le processus législatif aura duré deux ans …et maintenant il faut compter une période de deux ans pour la transposition (mise en œuvre) de cette Directive dans le droit national des États membres…

Dans cette mise en œuvre, les États membres devront vérifier l’adéquation des salaires minimaux légaux en tenant compte du pouvoir d’achat et du coût de la vie. Ils devront promouvoir la négociation collective et lutter contre le démantèlement des syndicats, et dans les pays où la couverture de la négociation collective est inférieure à 80 %, ils seront tenus de produire un plan d’action pour soutenir la négociation collective.

Cette directive implique aussi le renforcement de l’implication des syndicats dans la fixation et la mise à jour des salaires minimaux légaux et une obligation pour les entreprises bénéficiaires de marchés publics de respecter le droit d’organisation et de négociation collective conformément aux conventions 87 et 98 de l’OIT.

La directive devrait s’appliquer dans le respect des compétences des États membres et de l’autonomie et de la liberté contractuelle des partenaires sociaux. Si la directive fixe un cadre et des incitations, elle n’oblige toutefois pas les États membres à introduire des salaires minimaux légaux et ne fixe pas non plus de niveau de salaire minimum.

Il y a urgence à appliquer le plus rapidement possible cette directive car les travailleurs les moins bien payés d’Europe ont vu la valeur de leurs salaires chuter jusqu’à 19 % cette année, ce qui représente la plus forte baisse du salaire minimum réel de ce siècle, selon une analyse de la CES des données d’Eurostat. La valeur réelle du salaire minimum légal a chuté en moyenne de 4,8 %, laissant des millions de travailleurs lutter pour faire face aux dépenses les plus élémentaires comme la nourriture, le loyer et l’énergie.

Sans attendre les deux ans de transposition la CES appelle les États membres à suivre immédiatement l’exemple de l’Allemagne en augmentant les salaires minimums. L’Allemagne faisait partie des deux tiers des États membres de l’UE où le salaire minimum était fixé en dessous du seuil de risque de pauvreté de l’UE (60 % du salaire médian national) ainsi qu’en dessous de 50 % du salaire moyen. Le 1er octobre, l’Allemagne a donc relevé son salaire minimum de 10,45 euros de l’heure à 12 euros de l’heure, le portant à 60 % du salaire médian national et offrant une augmentation de salaire de 15 % à 6,64 millions de travailleurs.

Ce succès difficile devrait être complété par la Recommandation, dont la force est toutefois bien moindre que celle d’une directive, proposée par la Commission sur le Revenu minimum. Avec plus d’une personne sur cinq dans l’UE, soit 94,5 millions de personnes, déjà « menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale » et avec une inflation qui s’élève désormais à 9,1 %, la CES appelle les ministres à adopter la recommandation de la Commission européenne sur le revenu minimum de toute urgence et ne pas attendre encore 8 ans avant de le mettre en place !

À mettre également à l’actif de la Présidence française, l’adoption de la directive imposant aux entreprises cotées en Bourse d’avoir 33 % de femmes au conseil d’administration ou 40 % parmi les membres non exécutifs du conseil avant mi-2026. Cette proposition était sur la table depuis…2012 et les travaux d’adoption avaient été interrompus depuis 2017. La Présidence française l’a sortie de l’ornière pour la faire définitivement adopter en juin.

À noter enfin l’adoption en juin d’une Recommandation du Conseil relative aux comptes de formation individuels en vue de renforcer la formation des adultes en âge de travailler. La Commission avait publié cette proposition de recommandation en décembre 2021 avec l’objectif du Socle social d’assurer qu’au moins 60 % des adultes participent à des activités de formation chaque année d’ici à 2030. Elle recommande aux États membres d’envisager la création de comptes de formation individuels pour permettre de participer à des formations adaptées au marché du travail et faciliter leur accès à l’emploi ou leur maintien sur le marché du travail et de mettre en place un cadre facilitateur. Les comptes de formation individuels doteraient les personnes en âge de travailler d’un budget consacré à la formation afin qu’elles améliorent leurs compétences et leur employabilité tout au long de leur vie, qu’elles occupent effectivement ou non un emploi.

Mais encore des propositions sociales en attente…

La proposition de directive sur la transparence des salaires, instrument fondamental pour lutter contre les discriminations salariales, n’a guère avancé sous la Présidence française, la faute principalement au retard pris par le Parlement européen pour adopter sa position avec un lobbying patronal très intense contre cette proposition (as usual). La Présidence tchèque devra essayer de la mener au bout.

Sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (environnement, respect des Droits de l’Homme), qui viendrait renforcer la directive sur les informations non financières, la proposition de la Commission a tardé car elle n’a été présentée qu’en février 2022, trop tard pour que la Présidence française puisse s’en saisir. Cette proposition n’était d’ailleurs pas traitée par l’angle social mais par l’angle cadre juridique, présentée par le Commissaire européen à la Justice. Le dossier ne devrait pas être conclu avant la Présidence suédoise du premier semestre 2023.

La Présidence française a essayé d’avancer sur une révision du Code de Sécurité sociale permettant une meilleure portabilité des droits dans les pays de l’UE mais les négociations trainent au Conseil et elles n’ont pas permis de surmonter des blocages.

Pour la proposition sur les travailleurs des plateformes, concernant leurs droits et conditions de travail, la France a avancé sur un tour de table de la position des États membres. Des discussions difficiles ont lieu sur la nature de la régulation à mettre en place : droits ou statut. Le Parlement européen devrait bientôt adopter sa position et le traitement au Conseil devrait être une priorité de la Présidence tchèque.

D’autres dossiers devraient être sur la table d’ici les six prochains mois : santé et sécurité au travail, impacts des changements climatiques sur le travail, sur le dialogue social européen, l’amiante, voire la révision de la directive sur le temps de travail. Un point devra être fait également sur la mise en place de l’Autorité européenne du travail dont la première évaluation devrait être réalisée en 2024.