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Les clés du social : Les deux modèles de la formation des demandeurs d'emploi

Les deux modèles de la formation des demandeurs d’emploi

Publié le 27 septembre 2023 / Temps de lecture estimé : 4 mn

Alors que la loi Plein-emploi est en discussion au Parlement avec un arrière-plan qui interroge la formation et l’accès à l’emploi des demandeurs d’emploi, leurs droits et devoirs, l’enquête du CEREQ tombe à pic pour décrypter le monde touffu de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi et ses usages diversifiés. Le Centre identifie particulièrement deux mondes : celui de la formation « agile » et celui de la formation « marchande ». Que signifient ces termes, comment les deux mondes cohabitent-ils ?

La formation des demandeurs d’emploi, résultat de nombreuses réformes récentes

Nous savons que, depuis le début des années 2000, la formation professionnelle continue est l’objet de grands chamboulements à coup de négociations interprofessionnelles, de lois ou de règlementations nombreuses. La loi de 2004 a abouti à l’affirmation d’un droit individuel d’accès à la formation que l’on soit salariés et demandeurs d’emploi, qualifiés ou moins qualifiés, transformé en CPF (compte personnel de formation) par l’Ani de 2013 repris dans la loi de 2014. La loi Avenir professionnel de 2018 a amené la refonte du CPF.

Dans le même temps, des dispositifs centrés sur les demandeurs d’emploi les moins qualifiés ont vu le jour, tels que le Plan 500 000 (2016-2017) ou encore le Plan d’investissement dans les compétences, le PIC, depuis 2018. Ces politiques donnent lieu à des modes de régulations et de financements avec lesquels les organismes de formation doivent composer. Elles s’adressent à des publics variés, s’appuient sur des conceptions différentes et sont sous la responsabilité d’acteurs publics ou privés.

Les deux « mondes » de la formation des demandeurs d’emploi

Le CEREQ montre comment, dans ce contexte mouvant, les organismes de formation ont fait évoluer leur offre pour les demandeurs d’emploi en la diversifiant. Cette diversité est « liée à des conceptions politiques et éthiques différentes de la formation ». Ces conceptions contribuent à dessiner des mondes de la formation pluriels.

Plus précisément l’étude du CEREQ analyse l’émergence depuis 20 ans de deux grands modèles dans « l’écosystème » de la formation professionnelle continue pour les chômeurs. D’une part un « monde marchand » impulsé par le développement du CPF, avec des parcours plutôt transversaux sur catalogue, et portés par des acteurs lucratifs. Et d’autre part, un « monde agile » porté par les marchés publics des Conseils régionaux ou de Pôle emploi et en lien avec les habilitations de service public.

Pour aller plus loin sur le monde marchand

On le comprend facilement, pour le monde marchand, la formation est un bien de consommation comme un autre. Elle doit être rentable et les organismes qui participent de ce monde sont essentiellement privés et à but lucratif.
Quant au demandeur d’emploi le CEREQ le qualifie de libre consommateur de formation grâce aux possibilités offertes par le compte personnel de formation (CPF). Il permet l’instauration d’un nouveau mode de régulation, à la fois plus centralisé (France compétences) et plus distant (régulation par différentes formes de certification, pour les demandeurs d’emploi) que celui des marchés publics régionaux. Surtout, il amène une transaction directe entre organismes et stagiaires qui sont désormais des financeurs et des clients.
Les formations plus particulièrement proposées aux demandeurs d’emploi relèvent des domaines de la bureautique, des langues, de la gestion, etc., qui à la fois sont fortement demandées, ne nécessitent pas d’investissements lourds et sont souples dans leur mise en œuvre.

… Et sur le monde agile

Quant à l’agilité, elle caractérise à la fois les organismes de formation, l’offre de formation et les formés. La formation y est conçue comme une pratique capable de susciter la mise en activité au sens large ou le développement des compétences. Les formés ont des profils variés jusqu’aux plus fragiles. Leur agilité s’incarne dans la construction d’un « parcours », qui prend la forme d’une succession d’activités éventuellement bénévoles, de projets, de périodes de formation et d’emploi.
Les organismes valorisés dans ce monde sont ceux qui diversifient leur offre comme les publics auxquels ils s’adressent, et qui adaptent les formations aux contraintes et difficultés de chacun, ils en modulent la durée et le rythme.

Ils sont soutenus et encouragés par des financeurs généralement publics et par le recours à des modes de financements collectifs plutôt qu’individuels. La modalité des marchés publics des Conseils régionaux ou de Pôle emploi constitue, à côté des habilitations de service public, le mode de financement le plus caractéristique du monde de la formation agile.

Des tensions et des complémentarités

L’offre de formation ne se réduit pas à l’offre de places et au nombre d’organismes. Elle comprend aussi les contenus de formation et la manière de former. Sur ces aspects, les formations du monde marchand se distinguent fortement de celles du monde agile et laissent apparaître une complémentarité. Les premières sont plus standardisées (sur catalogue), reproductibles, plutôt tertiaires et de durée courte. Les formations proposées aux demandeurs d’emploi débouchent essentiellement sur des certifications du Répertoire spécifique.

Les secondes tendent à être plus variées, modulables, afin de faciliter la construction de parcours qui conduisent à terme à un emploi ou une certification. Les organismes qui les dispensent valorisent également l’innovation pédagogique et tiennent compte des profils et de la singularité des formés.

Conclusion

Les politiques de formation et de certification conduites depuis les années 2000 ont participé à renforcer les deux mondes, marchand et agile, et à en accentuer les différences. Pour le CEREQ chacun des financements associés à ces politiques comporte un risque d’exclusion, des stagiaires ou des organismes, voire de certains territoires.

Il y a la crainte d’une nouvelle segmentation de l’offre de formation des adultes, l’une qui s’adresserait aux publics les plus fragiles, l’autre non. L’étude montre qu’il y a aujourd’hui une certaine complémentarité entre les deux offres. Cette complémentarité, suspendue au maintien des financements publics dans le cadre de marchés publics, peut-elle être pérenne ? La question est posée et mérite l’attention de tous les décideurs et des équipes syndicales.


Source

  • I. Marion-Vernoux (dir.), N. Beaupère, C. Galli, C. Gauthier, A. Méliva, J. Paddeu, C. Romani, V. Simon, P. Veneau, L’offre de formation en direction des demandeurs d’emploi : quelles transformations face aux réformes ? Céreq études, 2023.
     https://www.cereq.fr/organisme-de-formation-demandeurs-demploi