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Les clés du social : Détachement des travailleurs. Révision de la directive européenne ?

Détachement des travailleurs. Révision de la directive européenne ?

Publié le 9 novembre 2016 / Temps de lecture estimé : 5 mn

Vingt ans après l’adoption de la directive relative au détachement des travailleurs, la Commission européenne a proposé, le 8 mars 2016, une révision des règles sur le détachement des travailleurs au sein de l’Union européenne afin de les adapter aux besoins actuels. En effet, la directive d’exécution approuvée en 2014, visant à améliorer l’application des règles dans la pratique (fraude, contournement de la réglementation, échange d’informations entre les États membres), ne semble pas suffisante. Le principe d’un salaire égal sur le même lieu de travail a réveillé des crispations et a abouti à l’adoption d’un « carton jaune » de la part de onze parlements nationaux, dénonçant une atteinte au principe de subsidiarité. Une note de la fondation Schuman fait le point sur cette problématique fort politique.

Qu’est-ce que le détachement des travailleurs ?
Un travailleur détaché est un salarié envoyé par son employeur dans un autre État membre en vue d’y fournir un service à titre temporaire. Il n’intègre pas le marché du travail du pays d’accueil contrairement aux travailleurs mobiles de l’UE. La législation européenne énonce une série de règles obligatoires concernant les conditions de travail et d’emploi applicables aux travailleurs détachés : taux de salaire minimal, périodes maximales de travail et périodes minimales de repos, période minimale de congé annuel payé, conditions de mise à disposition de travailleurs par l’intermédiaire d’entreprises de travail intérimaire, santé, sécurité et hygiène au travail, égalité de traitement entre hommes et femmes. Toutefois rien n’empêche l’employeur d’offrir des conditions plus favorables, ni à un État de renforcer la législation contre les fraudes : cf. la loi Macron et la loi travail [1].

Des travailleurs de plus en plus nombreux
Leur nombre a augmenté de près de 45 entre 2010 et 2014 passant de 1,3 million de personnes concernées à 1,9 million. 81 % des détachements sont concentrés sur 5 pays : Allemagne, Autriche, Belgique, France et Pays-Bas, avec des écarts salariaux au sein de l’UE entre 1 à 10. L’Allemagne (410 000), la France (190 860) et la Belgique (159 750) sont les 3 principaux pays de destination. La Pologne (266 700 travailleurs détachés par an) l’Allemagne (232 800) et la France (119 700), sont par ailleurs, les principaux pays d’envoi. Ces chiffres reposent sur le nombre de déclarations permettant d’attester l’affiliation du salarié détaché à un régime de sécurité sociale du pays où est établie son entreprise (formulaire A1).

Des données collectées par d’autres biais mettent en avant une plus grande dynamique
La faible durée des détachements peut expliquer la différence entre le nombre de formulaires A1 déposés et le nombre de détachements constatés. La durée annuelle moyenne du détachement est établie à 103 jours par la Commission européenne mais diffère d’un État membre à l’autre (233 jours pour un travailleur irlandais contre 33 pour un travailleur français).

Le texte de 2014 devait être intégré dans le droit national au 18 juin 2016. Douze pays n’ont pas opéré cette transposition : Allemagne, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Estonie, Grèce, Hongrie Luxembourg, Portugal, Slovénie et République Tchèque

À cela s’ajoute une évolution de la Cour de justice de l’Union Européenne

  • L’arrêt du 12 février 2015 précise les éléments devant être intégrés dans la rémunération. Le mode de calcul du salaire minimal relève de l’État membre d’accueil avec le respect des conventions collectives. L’indemnité journalière de détachement fait partie du salaire minimal ainsi que l‘indemnité du temps de trajet quotidien, les congés payés. Les dépenses liées au logement et les bons d’alimentation sont à la charge de l’employeur. La Cour consacre le principe d’égalité salariale et renvoie au juge national le soin de vérifier si les règles de rémunération sont contraignantes et transparentes.
  • L’arrêt du 17 novembre 2015 précise que la participation à un marché public pouvait être subordonnée à l’engagement à verser un salaire minimum, notamment lorsqu’il y a recours à un sous–traitant.

Une modification de la directive contestée
Un travailleur détaché reste affilié au régime de sécurité sociale du pays d’envoi. Un salaire minimal peut être appliqué au salarié détaché indépendamment de la qualification ou de la technicité de l‘emploi. La Commission européenne a relevé dans trois pays : Autriche, Belgique et Luxembourg un effet de substitution en défaveur de l’emploi peu qualifié local. Sept gouvernements ont constaté des problèmes de fraude et de concurrence déloyale : Allemagne, Autriche, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et Suède. Ils demandent une révision de la directive avec comme principe : « À travail égal, salaire égal sur le même lieu de travail ». À l’inverse, neuf gouvernements ont manifesté leur opposition à tout projet de révision : Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et République Tchèque.

La Commission européenne propose une révision de la directive sur quatre points

  • La rémunération intègrerait tous les règlements rendus obligatoires : conventions collectives ou sentences arbitrales qui concerneraient le secteur ou la profession, conventions collectives négociées par les partenaires sociaux.
  • La durée du détachement est limitée sur la coordination des systèmes de sécurité sociale à 24 mois (traité de Rome). Au-delà le travailleur est rattaché au pays d’accueil. La directive de 1996 ne prévoit rien en ce qui concerne le droit du travail. La commission souhaite adapter la directive détachement en conséquence.
  • Les chaines de sous-traitance. La Commission européenne propose qu’un État membre puisse imposer à l‘ensemble de la chaine de sous-traitance les mêmes règles de rémunération.
  • Le recours aux agences d’intérim. La Commission européenne souhaite garantir l‘égalité de traitement entre travailleurs intérimaires locaux et travailleurs détachés par une société d’intérim d’un autre État membre. 12 pays n’appliquent pas ce principe : Autriche, Chypre, Croatie, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Portugal, Slovaquie et Slovénie

Les premières réunions au Parlement européen ont montré une opposition au texte proposé par la Commission européenne.
Onze parlements : Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie, République Tchèque ont jugé que le texte était contraire aux principes de subsidiarité et ils ont adressé des avis motivés à la Commission (Le Danemark pense qu’il y a un risque, ce texte pourrait laisser penser que la rémunération ne serait plus une compétence nationale). La Commission européenne a rejeté ces interprétations et a maintenu son texte.

La présidence slovaque peu favorable au texte a envoyé un questionnaire sur la proposition de la Commission sur cinq points :

  • La limitation à 24 mois de la durée de détachement,
  • Le remplacement du « taux de salaire minimal » par la notion de « rémunération »,
  • L’application des conventions collectives d’intérêt général à l’ensemble des secteurs économiques,
  • La possibilité accordée aux États d’obliger les entreprises à ne sous-traiter qu’à des sociétés accordant les conditions de travail du contractant,
  • L’introduction du traitement égal entre travailleurs intérimaires.
    La réponse aux Parlements nationaux a été l’occasion pour la Commission européenne de s’opposer à un alignement par le haut des cotisations sociales des travailleurs détachés demandé par le Premier ministre Français.

La révision annoncée du règlement de 2004 sur la coordination des régimes de sécurité sociale doit permettre d’engager une véritable réflexion sur l’utilisation des formulaires de détachement - les déclarations A1- qui viennent légaliser le détachement. Si elle aboutit, cela permettrait aux déclarations A1 d’assurer leur sécurisation, leur collecte et leur déqualification éventuelle par l’État d’accueil sous peine de rendre inopérante la directive d’exécution de 2014 et la révision de la directive de 1996.


Références